Contre-critique

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"Glissement de temps sur Mars" de P.K. Dick

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"Glissement de temps sur Mars" de Philip Kindred Dick.

 

"Il vit le psychiatre dans sa réalité absolue : une chose froide composée de fils métalliques et de boutons, totalement inhumaine, sans la moindre chair. La carapace charnue se décomposa, devint transparente, et Jack Bohlen aperçut les mécanismes installés à l'intérieur."

Un couple et leur enfant ont emménagé sur Mars depuis environ dix ans. Le père, Jack Bohlen, travaille dans une boîte de réparation et s'éloigne parfois du foyer conjugal des jours durant, laissant seuls sa femme Silvia et leur enfant David. Jack ne tardera pas à croiser Arnie Kott, lui aussi colon installé sur Mars et devenu un puissant chef de société de plomberie. Il y a aussi Norbert Steiner, revendeur illégal de nourriture provenant de la Terre, qui a pour client principal Arnie Kott. Steiner est également le voisin de Jack Bohlen, et il a un fils autiste caché, Manfred, ce dernier étant élevé par des spécialistes au camp B-G.

Vous l'aurez compris, ce roman pourrait être, par son analyse des personnages, de la littérature blanche. Et pour ceux qui ne connaissent pas l'auteur, ne vous attendez pas à un roman d'action. Ici, tous les personnages créent un univers à la fois vaste et resserré comme un microcosme. Et Dick gère habilement cet entrelacs de rencontres et de liens qui unissent entre eux les nombreux protagonistes de son roman, passant de l'un à l'autre avec une répartition de l'importance de chacun et une multiplicité de points de vue étonnantes. Ce procédé narratif, rappelle d'ailleurs son chef-d'œuvre non fantastique "Confession d’un barjo".

"Personne n'avait moins de sympathie pour les Bleeks que les gros fermiers ; les indigènes miséreux et nomades se présentaient très souvent dans les fermes pour y demander de la nourriture, de l'eau, une aide médicale, ou se contentaient parfois de tendre la main selon l'ancien usage afin d'obtenir une quelconque aumône."

Au sein de son univers martien, Dick établit un parallèle confondant avec la situation des États-Unis des années 60. L'ONU exerce une forte influence sur la population à tendance raciste, et tente de venir en aide aux indigènes martiens, appelés Bleeks, dont les colons ont pris les terres. Bien que ce roman paraisse très réaliste, même s'il se déroule sur Mars, à partir du chapitre 5, on bascule lentement dans les méandres de la folie dickienne. Le lecteur apprend que Jack est un ancien schizophrène et qu'à travers ses souvenirs, durant sa névrose sur Terre, il s'est demandé s'il ne s'agissait pas plutôt d'une vision du futur. La possibilité d'un univers parallèle en est aussitôt ouverte, d'autant qu'Arnie recherche un skizophrène doué de précognition.

La deuxième moitié du roman offre, à travers le regard de Jack et Manfred, une vision de décrépitude de l'univers conté. Dès lors, on vire dans une ambiance cauchemardesque proche de la littérature de terreur. La déliquescence des visions rappelle d'ailleurs "Ubick".

Dans les derniers chapitres du roman, l'auteur nous offre enfin le fameux glissement de temps. Le concept et la manière de le déployer sont franchement réussis, mais le voyage dans le temps est tout de même restreint et le lecteur qui a soif de science-fiction risque d'être un peu déçu. Le mélange des réalités ne dure pas longtemps et était plus déstabilisant dans "Le dieu venu du Centaure". À part cela, les amateurs de littératures classiques se régaleront de ces histoires de familles, de tromperie, de pouvoir et d'enfant handicapé.

R.P.



21/04/2016
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