Contre-critique

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"La profondeur des tombes" de T. Di Rollo

 

"La profondeur des tombes" de Thierry Di Rollo.

 

"Le soir m'entoure. Sournois, patient comme la Mort, il me sait là. Alors je regarde vers le fond de la galerie, noyant mes yeux dans la lueur pâle."

Ainsi commence ce quatrième roman de Di Rollo, pourvu d'une atmosphère particulièrement sombre et sans espoir pour ses héros.

Forrest Pennbaker, le personnage principal, est un porion qui travaille dans les innombrables galeries souterraines d'une mine à charbon et qui est chargé de participer à des ventes aux enchères d'animaux clonés pour dénicher les "flaireurs".

"...obliger les sociétés d'extraction à utiliser des animaux pour la prospection de nouveaux filons, dans l'unique but d'enrayer l'extinction inexorable des espèces les plus menacées. Le mot flaireur était né."

Dans "La profondeur des tombes", le monde est recouvert de poussière carbonifère, il n'y a plus de soleil, plus d'eau pure et claire, la population meurt de faim, une drogue cancérigène s'est répandue et le charbon est le seul matériau exploitable. Nous sommes dans de la science-fiction glauque, proche de l'anticipation.

"J'ai dégusté l'eau du père Dubois dans l'établissement du même nom. Un liquide filtré au facteur de pureté 0.25, de la même couleur rouille, ou peu s'en faut, que l'eau de mon propre robinet."

Pennbaker, héros tourmenté, se trouve dans une situation désespérée ; son père Julius était un alcoolique, sa mère Rose-Anne morte trop tôt lui apparait sous des traits ignobles, sa fille Closelip est un réplicant, et Debbie, son amour perdu, est partie loin de lui. On sent que l'auteur a des choses à dire sur les conflits familiaux, et qu'il déverse en ses livres la part sombre qui est en lui.

"Je n'ai plus senti la main de Julius écrasant la mienne, pas plus que je n'ai entendu les fracas de l'orage chargeant l'air avant de l'embraser. J'étais attiré par ces yeux d'une obscurité lumineuse, perdus pour toujours et soulignés du sourire triste des lèvres. Ma mère."

Pennbaker est un pleutre désespéré qui va, dans la deuxième partie, prendre son destin en main et partir en U-Zone ; un territoire urbain où tous les criminels sont parqués. La noirceur très aiguisée de Di Rollo se déploie avec maestria au sein d'un monde crépusculaire qui peut basculer dans la folie.

"Là-bas, vers l'ouest, le soleil, à peine visible, mangé par la brume noire, offre son cercle pâle. Aujourd'hui tout le monde peut fixer cette boule estompée sans risquer de devenir aveugle."

"La profondeur des tombes" rappelle le mouvement cyberpunk avec ses clones, son carbone apocalyptique et son anarchisme presque nihiliste. On pense également au "Blade Runner" de Dick avec l'omniprésence d'animaux, mais ici la tristesse et la cruauté emportent tout sur leurs passages, et l'histoire vécue par le héros est intime. L'intimité de ses histoires est la particularité de l'auteur.

"...mais je reste le responsable d'une mine qui doit continuer de cracher ses vingts tonnes de charbon par jour. Et s'il faut que vous fassiez creuser vos mineurs à deux mille mètres sous terre pour cela, je vous y obligerai."

Il ne faut surtout pas se fier au quatrième de couverture qui raconte l'histoire dans sa globalité et induit en erreur le lecteur. Par exemple la fameuse hyène, apparaissant également sur la couverture, ne fera partie de l'histoire qu'après les trois quarts du récit et ne sera qu'une compagne de fin de parcours.

"La profondeur des tombes" recèle de scènes cultes et hautement visuelles, comme l'arrivée du buffle dans la mine ou encore quand Forrest débarque dans le quartier des macaques ; vous comprendrez pourquoi ce lieu s'appelle ainsi en lisant le roman.

La violence fait partie intégrante de l'œuvre de Di Rollo, mais elle se justifie - malgré sa gratuité dans cette histoire-ci - et y est remarquablement écrite.

"Mon index effleure la gâchette. Je ne parviens plus à respirer ; la démence totale me guette. Alors s'installe entre ma proie et moi un temps insupportable de pesanteur, une minuscule éternité suspendue à ma seule décision. Je ne sais pas. Pas encore. Les lèvres de la jeune femme trémulent."

Le titre de ce roman laisse correctement présager sa tonalité générale. Il vaut mieux ne pas être dépressif pour entamer sa lecture. Au-delà de son impact maîtrisé, "La profondeur des tombes" possède une histoire au départ énigmatique. L'intérêt réside dans le fait que Di Rollo parsème son récit de révélations qui vont peu à peu clôturer son histoire. Le puzzle se met en place à l'aide des souvenirs du héros et de la vie qu'il menait 18 ans plus tôt.

"Il s'est arrêté et, du haut de ses deux mètres, me fixait de deux yeux noirs. Sur le visage grossier, les traits du nez et de la bouche se fondaient dans le magma de la chair nécrosée. Tout le corps répandait une odeur de putréfaction épouvantable. Et je voulais en finir."

Si la noirceur et les séquences cauchemardesques ne vous effraient pas, vous prendrez énormément de plaisir à découvrir ce roman impeccable, maîtrisé de bout en bout, qui ne souffre d'aucune longueur, et qui est signé par l'un des auteurs en activité les plus intéressants qui soient.

R.P.



10/11/2011
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