Contre-critique

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"L"âme de Kôtarô contemplait la mer" de S. Medoruma

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"L'âme de Kôtarô contemplait la mer" de Shun Medoruma.

 

"Uta se tourna elle aussi vers la mer, pendant un moment ils la regardèrent ensemble, mais de ce côté rien ne changeait, c'était toujours le même éclat aveuglant du soleil blanc dispersé sur la mer."

Si le titre vous inspire, plongez sans hésiter dans cet admirable recueil de nouvelles. Exceptée la seconde histoire, la plus faible, tous les récits nous plongent dans un univers poétique et indéniablement ancré dans le drame réaliste de la vie, et valent le détour. Lisez également "Les Pleurs du vent" un court roman efficace.

Le premier récit, "Mabuigumi L'âme relogée" nous montre la cohabitation de deux mondes, celui de la matière et celui des âmes. En mettant en scène Uta, une vieille experte, praticienne du mabuigumi - à savoir un rite utilisant le vêtement d'un être endormi pour faire revenir son âme (mabui) dans le corps inanimé - l'auteur nous dévoile un univers fascinant et extraordinaire, un mélange de poésie métaphorique et de surnaturel.

Le résultat est d'une beauté scotchante, quant à la narration, délicate et merveilleuse, elle vous happe dans son monde miraculeux et vous incite au rêve éveillé. C'est à la fois extrêmement bienfaiteur, car sa lecture apaise notre âme de lecteur, et terriblement étrange et intriguant : par exemple le bernard-l'ermite logeant dans la bouche de Kôtarô nous livre une série d'images puissantes et perturbantes.

La seconde nouvelle nous mène à Okinawa, sur les pas du père Brésil, un homme de plus de soixante-dix ans dont les enfants de l'école voisine s'amusent à dérober les fruits de son jardin. Mais en se rapprochant de cet homme qui vécut au Brésil, le lecteur va découvrir d'étranges événements qui se sont déroulés là-bas.

Malheureusement l'amitié qui se lie entre le narrateur, un jeune garçon, et le père Brésil n'est pas tellement efficace, ou du moins aurait pu être davantage exploitée. On regrette aussi que la force des images, tels les nuées d'oiseaux, ne nous emporte pas, dommage.

"Et ce qu'ils voulaient, c'était un combat fracassant. À l'instant où le Noir a trébuché, poussé par les hommes qui se substituaient aux cordes, son adversaire lui a sauté dessus, lui martelant le corps et le visage de coups de poing. Un violent corps à corps s'est engagé. Le bruit des coups sur la chair me parvenait à travers les vociférations des hommes excités..."

La nouvelle "Rouges palmiers" est vraiment surprenante car elle débute avec une passion pour la boxe et ses matchs - sport viril s'il en est - pour aboutir à une vague première expérience homosexuelle. Mais la transition est parfaitement menée et le héros tombe naturellement et innocemment dans les bras d'un jeune garçon de son âge, nommé S. Et pour lui, le choc est terrible, d'autant qu'il est également attiré par la mère de S et qu'il ne peut pas accepter le plaisir qu'il éprouve pour S, dès lors qu'il comprend la nature de ce plaisir. Le rejet et le tiraillement qui s'ensuivent sont admirablement décrits, et l'ensemble du récit possède une délicatesse et une subtilité poétique impressionnantes.

"Il lui demanda ce qu'il avait dit et comment Satohara avait réagi puis, tirant sur le tuyau d'arrosage, il en frappa soudain les cuisses de Takashi qui s'accroupit, reçut une gifle et puis encore des coups de tuyau sur le dos. Pendant un moment Takashi fut incapable de respirer, comme étranglé par un serpent..."

"Coq de combat" suit le parcours de Takashi, un enfant qui se voit confier la tâche d'élever un coq, par un père qui s'en servira ensuite comme animal combattant. Point non plus de magie dans cette autre nouvelle réaliste qui met l'enfant face à une injustice courante de la vie, et qui se finira en véritable drame, avec efficacité.

La suivante par contre, "Avec les ombres", remet le surnaturel au cœur de l'histoire, puisque l'héroïne est issue d'une famille de prêtresses kaminchu qui voient des choses invisibles aux autres. Pourtant la réalité du drame reste ancrée dans le récit, avec une héroïne harcelée jusqu'aux toilettes par ses camarades. Entre amour avorté, violence physique éprouvante et révélation façon "Sixième sens", il s'agit là d'une excellente nouvelle.

"Le reflet de la lune sur la mer a brièvement vacillé, le chant est allé crescendo, faisant frémir les fines feuilles des filaos sue la plage. La douleur au fond de ma poitrine était telle que ni le mot de tristesse ni celui de chagrin ne me semblaient pouvoir exprimer ce que je ressentais."

La dernière nouvelle, "La mer intérieure", narre la mésaventure d'un garçon qui perdit sa mère à l'âge de quatre ans, vécut éloigné d'un père violent et, une fois adulte, dilapide son argent dans un café où il rencontre une sensuelle serveuse. Poétique, mystérieuse et dangereuse, cette nouvelle coudoie le fantastique avec des apparitions étranges et l'omniprésence des âmes des disparus. L'ensemble est assez déconstruit et difficile à suivre mais l'impalpable semble faire parti du processus.

Plongez-vous donc dans l'écriture élégante et poignante de Medoruma, un auteur qui possède un style propre et traduit une obsession pour la disparition des proches à travers une virtuosité notable. À découvrir !

R.P.



21/11/2016
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