Contre-critique

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"Les pierres" de H. Okuizumi

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"Les pierres" de Hikaru Okuizumi.

 

"Tu ne fais sans doute pas attention aux cailloux en bordure de route. Tu penses certainement qu'à l'exception des pierres de jardin ou de construction, toutes les roches sont dépourvues d'intérêt, qu'elles sont éparpillées sans raison sur le lit des rivières, qu'elles sont plutôt gênantes et qu'elles n'ont pas suffisamment de valeur pour être ramassés et observées. Mais tu te trompes."

Manase a fait la guerre. En 1944, il était aux Philippines, réfugié avec d'autres dans une grotte au milieu de la jungle tropicale. Il y connut un caporal qui lui apprit le secret des cailloux au bord du chemin. Aujourd'hui Manase tient une librairie et collectionne les pierres, et sa passion pour la minéralogie, il va lentement la transmettre à son fils aîné Hiroaki.

Entre passé et présent, entre l'enfer de la guerre entouré de mourants et d'un capitaine impitoyable qui achève les mourants au sabre, et la vie civile d'aujourd'hui accompagnée de l'admiration et l'accumulation des pierres, le roman nous plonge dans un univers étrange et tout à fait singulier, ou la mort côtoie le sublime.

"Mais en général le regard d'un homme affaibli est fixe, aussi avait-il trouvé étrange le mouvement incessant de ses pupilles tandis que son compagnon n'arrêtait pas de parler, avant de s'apercevoir en l'observant mieux qu'il s'agissait de vers. Des vers qui grouillaient à l'intérieur de ses globes oculaires."

Okuizumi fait preuve d'une écriture simple et incroyablement riche en terme d'idées et d'images. On lit avec ravissement cet auteur qui nous séduit dès les premières lignes grâce à une philosophie mettant en rapport l'existence humaine et l'histoire des roches. Le secret des pierres nous fascine, tout comme le destin sordide des soldats réfugiés dans la caverne de Leyte, soumis à la faim, à la fatigue, à la maladie et aux infections.

Au fil des pages, on comprend que Manase est profondément affecté par son expérience de la guerre, et le roman prend dans sa deuxième partie une tournure inquiétante, proche du thriller psychologique. Car depuis la première sortie d'Hiroaki aux côtés de son père, durant les vacances d'été, ce dernier va nourrir une soif de découverte qui lui sera fatale. Dès lors Manase et sa femme vont vivre dans le conflit et la souffrance, supportant très mal la mort de leur fils.

"...tant de gens sous ses yeux étaient devenus en une nuit des cadavres glacés, alors que la veille encore ils avaient suffisamment d'énergie pour rire, que Manase était désormais insensible devant la vie ou la mort."

Si vous ne lisez pas la quatrième de couverture, vous risquez d'être surpris par la tournure des évènements. Okuizumi ne va absolument pas où on l'attend et suit des chemins en marge de l'ordinaire. Cela risque de déstabiliser le lecteur impatient qui chercherait la linéarité du sujet mais c'est très agréable pour qui aime à ne pas marcher sur les traces des autres. Cependant il faut admettre que ce court roman s'éparpille légèrement et ne tient pas constamment en haleine. Malgré tout, l'auteur retombe habilement sur ses pattes et la troisième partie centrée sur Takaaki, le second fils, clôture le roman de manière cinglante.

Nous livrant les pièces d'un puzzle que le lecteur lui-même doit reconstituer, l'écriture de Okuizumi rappelle le mélange de froideur et de sensation d'un Yoshimura. En définitive, "Les pierres" est une curiosité vénéneuse, une sorte de diamant noir tranchant qui mérite le détour.

R.P.



30/03/2015
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