Contre-critique

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"Une mort qui en vaut la peine" de D.R. Pollock

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"Une mort qui en vaut la peine" de Donald Ray Pollock.

 

"Chimney tenta de se libérer, mais les années de labour, d'abattage de bois et de cueillette avaient rendu la poigne de son père aussi ferme qu'un étau. La trachée bloquée, il cessa rapidement de se débattre et parvint à expulser quelques miettes qui vinrent se coller aux poils des poignets de Pearl."

D'un côté, le raciste Pearl Jewett et ses trois fils qui, dans leur labeur de miséreux, peinent à survivre. De l'autre, Ellsworth,  qui a perdu les économies de toute une vie en achetant un cheptel à bas prix à un escroc, et dont le fils Eddie a disparu. L'auteur alterne entre le récit de chacun, par le biais de courts chapitres. Le tout début se lit facilement mais ne parvient pas du tout à créer une ambiance aussi prégnante que celles d'un McCarthy ou d'un Steinbeck par exemple, des auteurs auxquels on aurait pu rapprocher Pollock. D'ailleurs ce dernier ne plante pas de décor par le biais de descriptions ou d'environnement, il se cantonne aux mésaventures passées des personnages et de leurs relations. Et après cent premières pages mitigées, la lecture n'est toujours pas parvenue à devenir captivante. Si vous vous attendez à une déflagration littéraire vous risquez d'être bigrement déçu. L'auteur ralentit considérable le rythme de son récit principal qui, loin d'être endiablé, se voit embourbé dans d'incessantes digressions se manifestant à chaque apparition de nouveaux personnage, et ce quelle que soit leur importance. Il faut avouer que mis à part deux ou trois chapitres marquants, on aurait bien resserré tout le départ.

Heureusement l'histoire des trois frères est plutôt prenante, surtout passées les cent premières pages, une fois que leur père meurt et que les exactions commencent. Entre Chimney le rebel, Cane l'aîné raisonnable et Cob le suiveur limité intellectuellement, leurs péripéties se révèlent pleines de fougue et d'âpreté, à l'image de leur livre de chevet "La vie et les aventures de Bloody Bill Bucket". Quant aux habitants de Meade, dont Jasper Cone, le préposé aux vérifications sanitaires au sexe démesuré, ou encore le proxénète Blackie, ils sont tous plutôt racés et extrêmes dans leur attitude. Tout comme Vincent Bovard, le jeune officier homosexuel du camp Pritchard.

"L'espace d'un instant, il fut incapable du moindre geste et se demanda si, par hasard, il ne serait pas encore en train de rêver, mais lorsqu'il vit son frère retirer d'un coup sec la machette de la nuque de Tardweller, il jeta le fusil et se détourna au moment où le plus gros de son gueuleton fusait hors de sa bouche..."

Il faut reconnaître que le récit de Ellsworth, durant la moitié du roman, est vraiment décevant. Et concernant l'atmosphère, on est très loin de Tarantino et ses climax gorgés de tension (bien qu'un moment rappelle vaguement "Pulp Fiction"). Même si le langage est cru, les personnages frondeurs et extravagants, le récit a vraiment du mal à devenir palpitant et le talent de Pollock n'est pas probant durant toute la première moitié du roman, longue, tortueuse et davantage ennuyeuse que passionnante. Dans le genre prenant et marquant, on vous conseillera "Les frères sisters", pour une chevauchée fraternelle américaine mémorable.

Heureusement à l'arrivée de Sugar, dit George Milford, le roman prend enfin plus de consistance et le véritable plaisir de lecture se fait sentir (chapitre 36 tout de même !) car, aussitôt après, le parcours des frères Jewett recoupe enfin celui d'Ellsworth et l'auteur nous délivre alors un peu d'émotion bien méritée vu nos efforts pour tenir jusque là. La suite devient vraiment agréable et l'histoire se resserre sur les frères Jewett, et le plaisir l'emporte malgré tout.

En définitive, un roman dense et longuet, mais dont la deuxième moitié nous procure de belles émotions et qui nous fait dire en refermant l'ouvrage que l'on est content de l'avoir lu jusqu'au bout. Mieux vaut tout de même découvrir l'auteur à travers un autre de ses ouvrages.

R.P.



22/02/2017
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