Contre-critique

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"Chambre Obscure" de V. Nabokov

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"Chambre Obscure" ou "Rire dans la nuit" de Vladimir Nabokov.

 

"Et voilà qu'après ces années discrètes, vers la quarantaine, en plein épanouissement d'une vie douce et tranquille, Kretchmar sentit soudain l'approche de ce je-ne-sais-quoi d'extraordinaire et d'enivrant, d'un peu honteux aussi, qui semblait le guetter sournoisement depuis son adolescence."

Ne lisez surtout pas le résumer de "Chambre Obscure", cela vous ôterait l'effet de surprise des péripéties. Voilà ce qu'il vous suffit de savoir : Bruno Kretchmar, amateur d'art vivant à Berlin, est marié à Anne Lisa ; tous deux forment, avec leur fille Irma, un couple en apparence heureux et uni. Pourtant Kretchmar, bien qu'il n'ait jamais trompé sa femme, rêve secrètement de "jeunes Vénus à moitié nues", et le jour où il rencontre l'ouvreuse de cinéma Magda Peters, âgée d'une quinzaine d'année, Kretchmar n'y tient plus, et devient obsédé par cette adolescente. Le lecteur apprendra aussitôt après que la jeune Magda n'est ni innocente, ni vierge, et qu'elle a déjà prêté son corps contre une somme pécuniaire. L'irrésistible attirance de Kretchmar pour Magda deviendra alors pour lui et les autres, une spirale aux enfers.

"Sans se lever, elle se mit à retirer les manches de son imperméable, la tête penchée, inclinant les épaules l'une après l'autre, tandis qu'une bouffée chaude parfumée de violette montait au visage de Kretchmar qui l'aidait tout en suivant des yeux le mouvement des omoplates"

Nabokov révèle ici, en quelque sorte, les prémices du chef-d'œuvre à venir que sera "Lolita", de par cette attraction irrésistible d'un homme mûr pour une adolescente. Mais contrairement à "Lolita", qui révélait les manipulation d'un héros intrusif et possessif à l'égard de sa nymphette, "Chambre Obscure" nous montre un héros pris de court par une jeune fille manipulatrice qui prend l'initiative sur notre pauvre héros dépassé par les évènements. Ainsi ce qui aurait pu s'apparenter à un chasseur devient rapidement une proie. De ce point de vue, "Chambre Obscure" est l'opposé de "Lolita", car la jeune Magda, déjà expérimentée, ne sera jamais prise au piège d'un manipulateur. Autre distinction entre les deux romans, "Lolita" suivait l'unique vision du héros, tandis que "Chambre Obscure" multiplie les protagonistes, et bien que Kretchmar en soit le principal, le lecteur pénètre tour à tour dans les cerveaux de Magda, Anne Lisa, Horn ou encore du beau-frère Max, Nabokov devenant omniscient. Mais quoi qu'il en soit, dans les deux cas le héros connaitra une fin tragique.

"Celui-ci ne songeait même pas à lui, car il s'était interdit de revenir à l'instant épouvantable où, là-bas, sur la colline ombreuse, au bord de la source murmurante, l'avait frappé la catastrophe brutale qui l'avait plongé dans une angoisse mortelle."

Les personnages se multiplient au fur et à mesure de la lecture, et leurs histoires respectives vont s'entremêler. Les rebondissements sont vraiment nombreux et donnent au récit un rythme soutenu. Les évènements s'enchainent avec pas mal de surprises dans leur tournure. Ce qui est aussi particulièrement agréable, c'est de constater que rien n'est laissé au hasard dans "Chambre Obscure" et que tous les personnages cités, même brièvement, reparaissent plus tard pour donner corps à l'histoire. Nabokov ponctue régulièrement son récit de situations critiques où le suspense est de mise, où la situation des personnages risque de basculer. Car en définitive "Chambre Obscure" est une histoire de tromperie et de relations cachées, et les faux-semblants y sont légions.

On pourrait reprocher à Nabokov de ne pas décrire l'état de Kretchmar - en tant que père - face à sa fille qu'il ne voit plus, et dont vraisemblablement il se fout au point de ne pas y penser ni d'être affecté par son absence, mais les évènements, se succédant avec rythme, permettent de ne pas trop y penser. D'autant que la cruauté de la situation à l'égard de Kretchmar fera de lui une victime touchante.

La fin, dans la chambre obscure, est une merveille de suspense et de mise en situation, le lecteur se retrouvera totalement projeté dans le ressenti du personnage central. Le roman se clôture donc sur une note extrêmement positive malgré le drame de la situation.

Une lecture indispensable pour les fans de Nabokov, et une curiosité divertissante et plus facile à lire que "Le Guetteur" pour les autres.

R.P.



15/02/2015
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