Contre-critique

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"D'une rive à l'autre" de M. Gaborit

 

"D'une rive à l'autre" de Mathieu Gaborit.

 

"Tu évalues tes chances de sortir de l'impasse. Un regard derrière toi suffit : des gouttes noires et visqueuses émergent entre les anfractuosités des pavés et s'élèvent lentement dans les airs, comme si la rue pleurait sur le ciel."

"Naissances", la première nouvelle du recueil, se rattache à l'univers des "Chroniques des Féals". Elle nous immerge directement dans le M'Onde, tandis qu'une tentative d'assassinat lors de laquelle une chasseuse va devenir gibier se déroule sous nos yeux.

Ce récit, très sombre et résoluement tourné vers l'action, fait découvrir au non-initié de nombreux concepts originaux, tel le Néant qui se propage et attaque via des hôtes humains. Ou encore l'egrin, sorte d'arachnide qui fusionne avec le crâne et se mêle aux pensées de celui qui le reçoit. "Naissances" est un fragment palpitant et très imagé qui fait une excellente ouverture à l'écriture vive et fluide de Gaborit.

Malheureusement la nouvelle qui suit, "Aux Frontières de Sienne", n'est pas au même niveau que la précédente. Les enjeux sont plus clairs mais aussi plus anodins, et la simplicité du récit déçoit ; un jeune sorcier déjoue l'application de la loi des Morts pour étendre le duché de Galidea et satisfaire ses amours avec une ondine.

"Son corps malingre souffre de l'effort, ses pieds s'enfoncent dans une terre gluante et la sueur poisse ses paupières. L'aube ne vas plus tarder et avec elle, le cortège des veuves. Il doit profiter du clair-obscur et s'éclipser avant que le soleil ne fasse luire les armures."

Dans "L'étreinte de Babylonne", on croise l'adolescent Jog, dont la vie consiste à détrousser les cadavres tombés sur les champs de bataille. Mais son destin va basculer après sa rencontre avec Cassandria, une curieuse prostitué.

Cette courte nouvelle est plaisante et on y retrouve le verbe aiguisé de l'auteur. On regrettera seulement qu'elle s'achève si promptement.

Viens ensuite "Le vitrail de jouvence" et l'histoire de l'abbé Andelme qui devra faire face aux inquiétants phéniciers, des êtres revêtant le masque du loup noir. Ces derniers débarquerons dans l'église du bourg de Steinghal pour récupérer le vitrail qui a fait la réputation du lieu.

Moins de magie pour ce récit qui privilégie le dilemme psychologique et se lit sans effort bien que les pistes amenées par Gaborit ne semblent pas exploitées.

"Le carabin ressemblait à un corbeau. Elle le détestait, lui et ses mains moites qui palpaient son crâne avec des petits grognements. Mais ce qu'elle redoutait le plus, c'était sa glotte. Si saillante que l'enfant craignait qu'un jour ou l'autre, la pomme d'Adam ne déchire la peau et roule sur son corps."

Dans "Songe ophidien" apparait Eyhide, une fille de sept ans en proie à la maladie. Mais sa maladie n'est pas banale, car la fillette est une méduse et le tableau au pied de son lit semble renfermer un lutin. Bourrée de magie et de rêve, cette nouvelle enchante de fantaisie le lecteur qui suivra avec attention le destin d'un des futurs personnages des "Crépusculaires" qui croisera la route d'Agone. On découvre également un danseur, entité clef de l'univers de l'auteur.

"Un passé trompeur" change radicalement de registre. Mais le récit de cet homme qui tente vainement d'avertir la communauté scientifique de l'erreur qu'ils vont commettre est trop court pour passionner.

"Les plus jeunes d'entre nous manquent d'imagination et bâclent le travail. J'appartiens à l'ancienne génération, à celle qui met les formes, qui apprécie les subtilités et donne au meurtre toute sa dimension artistique."

C'est par ces mots que se définit le personnage principal de "Mime", un être en pleine traque avec sa proie, une ombre qui recherche à nouveau la naissance.

Beaucoup plus travaillée et aboutie, cette nouvelle de 2008 nous plonge dans un monde complexe et fantastique, mais actuel et qui pourrait être le nôtre. "Mime" est une excellente métaphore de nos sociétés où les individus perdent leur âmes en perdant le sens de la vie et de l'amour au profit d'une routine dans le travail.

Dans la dernière nouvelle du recueil, "Involution", le monde a découvert la naissance d'icariens. Des hommes ailés et doté de pouvoir psychokinétique hors du commun. Sept siècles plus tard la conquête de l'univers s'est largement développé grâce à eux, et le père Félicien va faire face à Nathan, un enfant icarien qui a des choses à révéler. Cette histoire rappelle Akira de par son personnage enfant qui a des pouvoirs incroyables, et qui annonce la fin du cycle humain. Mais la comparaison s'arrête là, car "Involution" fait partie d'un nouveau cycle de SF que l'auteur n'a pas encore exploité, comme il le dit à la fin, lors d'une copieuse interview de plus de 20 pages revenant sur son parcours et l'ensemble de ses écrits.

Une très bonne mise en bouche que ce "D'une rive à l'autre", qui vous fera découvrir l'univers de Gaborit, avec ses multiples facettes, et vous donnera sûrement envie d'en lire plus.

R.P.



08/01/2013
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