Contre-critique

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"Du côté de chez Swann" de M. Proust

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"Du côté de chez Swann" de Marcel Proust.

 

"Je me rendormais, et parfois je n'avais plus que de courts réveils d'un instant, le temps d'entendre les craquements organiques des boiseries, d'ouvrir les yeux pour fixer le kaléidoscope de l'obscurité, de goûter grâce à une lueur momentanée de conscience le sommeil où étaient plongés les meubles, la chambre, le tout dont je n'étais qu'une petite partie..."

Premier livre du cycle "À la recherche du temps perdu", ce roman de Proust donne immédiatement le ton. Le lecteur va naviguer dans les méandres de la pensée de son auteur. Livrant un travail de recherche et de sensation concernant la mémoire, ce "Du côté de chez Swann" débute avec le coucher. Là où bon nombre de récit débute au réveil, Proust démarre le sien au moment où survient la quête du sommeil. C'est alors l'occasion pour lui de se remémorer son enfance à Combray (fameux lieu fictif inspiré par la réalité), les visites de M. Swann et le baiser rituel de sa mère avant de dormir.

Passées quelques pages, le lecteur plonge entièrement dans les souvenirs de Proust, au fil de son écriture miroir de la pensée qui le caractérise. Les phrases sont longues, douces, enivrantes et permettent au lecteur de s'immiscer dans la tête de Proust, délicatement, sans heurt, comme une agréable somnolence qui nous donne accès au voyage.

"... elle était si humble de cœur et si douce que sa tendresse pour les autres et le peu de cas qu'elle faisait de sa propre personne et de ses souffrances, se conciliaient dans son regard en un sourire où, contrairement à ce qu'on voit dans le visage de beaucoup d'humains, il n'y avait d'ironie que pour elle-même, et pour nous tous comme un baiser de ses yeux..."

Il faut de la concentration pour lire Proust, non parce que c'est complexe mais parce que la profondeur de son travail de mémoire n'est pas immédiatement accessible et divertissant. Pourtant une fois franchi le cadre de son univers, telle une rêverie, on découvre des sensations et des personnages qu'on atteint au-delà de la superficialité d'une description esthétique. Proust sonde l'âme de ses protagonistes et des lieux que ces derniers occupent. Il incarne la littérature de l'être, en tant que créature pensante, douée de souvenirs.

La première partie, "Combray", est surtout axée sur l'enfance de Marcel Proust, dans ce lieu extatique où cohabitent sa mère, sa grand-mère, sa tante Léonie, la bonne Françoise et le voisin Swan. Les rapports que chacun entretient avec les autres, les balades qu'ils exécutent, les repas qu'ils partagent, les lectures que fait notre jeune narrateur, ainsi que le rapport de tendresse qu'il entretient avec sa mère au moment du coucher sont admirablement fouillés par sa plume. Dans le premier quart du roman, on retrouve évidemment le fameux épisode de la madeleine. On réalise alors que le souvenir ne rejaillit pas immédiatement au contact de la saveur, à contrario de l'idée véhiculée, mais qu'il refait surface après de nombreux efforts. Car pour la saveur de la madeleine amollie par le thé, tout comme pour les autres thèmes explorés, l'écrivain vagabonde d'une pensée à l'autre et déroule plusieurs fils à la fois, ses derniers s'enchevêtrant souvent. Mais quoi qu'il en soit, l'effet demeure d'une efficacité redoutable, surtout lorsque Proust conclut : "...et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé."

La deuxième partie, "Un amour de Swann", raconte comment Charles Swann fut introduit dans le groupe privilégié et fermé des Verdurin et comment il se lia avec Odette de Crécy. Cela se passait avant la naissance de l'auteur, pourtant Proust nous fait vivre et vibrer aux côtés de Swann, comme si ce dernier n'avait absolument aucun secret pour l'auteur. On comprend alors que Proust fait preuve d'imagination et ne s'appuie pas exclusivement sur la mémoire pour écrire, bien que ses mots en donnent le sentiment.

L'amour naissant entre Swann et Odette, de leur rapport si particulier, est admirablement décrit par l'auteur qui nous fait plonger toujours plus avant dans la tête et le cœur de ses protagonistes. Ainsi le jeu entretenu par Swann à l'égard d'Odette devient passionnant et des instants comme la course pour retrouver l'objet de désir qu'est devenue Odette, volontairement délaissé par Swann, semble plus vraie que nature. Tout comme le moment où il retourne chez Odette pour voir si sa fenêtre est encore éclairée. La précision de ces deux passages, emprunt d'action, nous subjugue.

"Swann partit chez Prévost, mais à chaque pas sa voiture était arrêté par d'autres ou par des gens qui traversaient, odieux obstacles qu'il eût été heureux de renverser si le procès-verbal de l'agent n'eût retardé plus encore que le passage du piéton. Il comptait le temps qu'il mettait, ajoutait quelques secondes à toutes les minutes pour être sûr de ne pas les avoir faites trop courtes..."

Malheureusement la passion va se transférer de l'un à l'autre et, voyant Swann nourrir peu à peu des sentiments pour Odette, puis découvrir que lentement celui qui semblait si libre et désiré par le "noyau" Verdurin va s'en retrouver rejeté alors même qu'il s'en éprend, va ébranler le lecteur.

Mais bien que "Du côté de chez Swann" recèle de moments magiques, le lecteur risque d'avoir du mal à digérer les dîners mondains chez les Verdurin, qui s'éternisent, plein d'emphase, d'effets et de jeux de mots, surtout s'il n'est pas adepte de la superficialité de rapports pédants et prétentieux. D'autant que les mondanités perdurent durant de trop nombreuses dizaines de pages, alors que Swann rencontre la princesse de Parme et ceux de Guermantes. On se lasse de cette galerie de personnages qui s'expriment aux travers de détours alors que Proust fait stagner son intrigue principale au point de l'anéantir.

"(...)il ne lui eût pas donné, par sa jalousie, cette preuve qu'il l'aimait trop, qui, entre deux amants, dispense, à tout jamais, d'aimer assez, celui qui la reçoit."

Il faut reconnaître qu'à la fin de ce "Du côté de chez Swann" on a hâte que ça se termine car les passages intéressants sont trop peu nombreux au vu des pages assommantes qui ne cessent de s'enchaîner.

La dernière partie "Noms de pays : le nom" revient comme la suite de la première partie, après l'énorme parenthèse appartenant à une autre période qu'est la deuxième partie, et s'attarde sur l'espérance de Proust concernant la réciprocité de son amour pour Gilberte Swann. Malheureusement l'attente de Proust pour Gilberte rappelle immédiatement celle de Swann pour Odette, ce qui devient une légère redite, d'autant que le naïf espoir de l'auteur enfant n'est pas remis en cause par l'auteur adulte.

Si au départ le roman de Proust s'annonce passionnant, il devient lassant au fil de sa lecture, et, par les méandres de sa narration, ne convainc qu'à moitié !

R.P.



18/06/2015
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