Contre-critique

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"Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines" de W.S.Burroughs et J.Kerouac

 

"Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines"

de William S. Burroughs et Jack Kerouac.

 

"À cette heure, tout le monde était bourré, sauf Agnes et moi. Al était assis aux pieds de Phillip, il le regardait avec des yeux de merlan frit. J'avais hâte qu'ils rentrent chez eux, tous tant qu'ils étaient."

Ce roman, écrit en 1945, vient seulement d'être exhumé et traduit en français. c'est l'occasion de découvrir un inédit co-écrit par les deux écrivains cultes de la "Beat Generation".

Tirée de leur vécu - Burrough est Will Dennison et Kerouac est Mike Ryko - le récit raconte l'histoire d'un groupe d'ami qui vivotent à New-York durant le mois de juin 1944. Mike est un marin temporairement à quai, il vit avec Janie qui est copine avec Barbara. Cette dernière fleurte avec Phillip, un jeune homme séduisant, convoité par beaucoup mais surtout par Al qui le suit partout comme un petit chien. Phillip se sert partout où il va, il profite des autres sans gratitude. Mais il n'est pas foncièrement égoïste et profiteur, il n'est juste pas conscient de ses actes. Will lui, fréquente avec réserve tout ce petit monde et décroche un job dans une agence de détective.

"il était couché sur elle, dont on apercevait la cuisse nue. Je me demandais ce qui les empêchait de copuler pour de bon. Il leur arrivait de passer la nuit comme ça, sur le canapé, sans jamais aller jusqu'au bout, quitte à se retrouver en slip. Cette espèce de virginité purement clinique, ça me saoulait."

Au fil des pages, on suit le parcours chaotique des protagonistes ; de leurs soirées de beuverie à leurs combines pour trouver de l'argent, tout en démêlant le cours de leurs intrigues amoureuses. Les personnages consomment la vie par les deux bouts et ne se soucient que trop peu du lendemain, mais au-delà de leur côté dépravé, ils s'intéressent à l'art, aussi bien la musique que la littérature (Brahms et Joyce) et vont dans les musées (Phil s'extasiera devant Modigliani).

"Dans la fraîcheur du musée climatisé, Phil est tombé en arrêt dix minutes devant le portrait de Jean Cocteau par Modigliani."

"Et les hyppopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines" provient d'une simple anecdote, mais ce titre ne révèlerait-il pas le sort de ces jeunes hommes, de ces marginaux, qui évoluent dans un microcosme qui ne leur convient pas. Phillip par exemple rêve de Vision Nouvelle, une idylle qu'il imagine possible, avec une société où chaque citoyen serait artiste. Mais leur rêve n'est qu'une idée lancée en l'air car ils ont l'insouciance de la jeunesse et ne se donnent pas les moyens de réussir ce qu'ils entreprennent. Et bientôt les tensions pointent et le lecteur peut se douter d'un drame en approche.

"C'était un samedi soir d'octobre, je me rappelle. J'ai bien dû descendre quarante-cinq, cinquante bières dans la nuit, sans mentir. On est allés dans les quartiers sud de Boston, et on a fait la tournée des bars, on chantait au micro sur des estrades, on tapait sur des caisses et tout et tout."

Chaque écrivain alterne son point de vue au cours des chapitres et le roman se lit facilement, comme s'il s'agissait de vacances entre amis. Mais lorsqu'on arrive au bout et que le voyage se termine, chaque personnage se sépare, froidement, sans effusion, et le lecteur reste seul, lui aussi, et se rend compte qu'il a passé énormément de bon temps en compagnie des protagonistes mais qu'il va également garder le regret amer et mélancolique de leur dispersion. Une certaine idée de gaspillage.

Une raison de plus de penser que Burroughs et Kerouac étaient des grands de la littérature.

R.P.



25/01/2013
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