Contre-critique

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"L'attentat" de Y. Khadra

"L'attentat" de Yasmina Khadra.

 

"À quelques mètres - ou bien à des années-lumières le véhicule du cheikh flambe. Des tentacules voraces l'engloutissent, répandant dans l'air une épouvantable odeur de crémation. Leur bourdonnement doit être terrifiant ; je ne le perçoit pas. Une surdité foudroyante m'a ravi aux bruits de la ville."

Ce qui enchante tout d'abord avec ce roman, c'est la beauté de l'écriture. Khadra manipule les mots avec habileté et réussit à tourner les phrases de manière à les rendre agréables et imagées. C'est avec un réel plaisir que s'ouvre ce roman, avec une entrée en matière aussi effroyable que maîtrisée. On y découvre Amine, personnage principal du livre, qui exerce le métier de chirurgien dans un hôpital de Tel Aviv, lorsqu'un attentat survenu dans un fast-food à proximité fait affluer les victimes.

Amine est d'origine arabe mais naturalisé israélien, et lorsqu'on lui annoncera que l'auteur de l'attentat n'est personne d'autre que sa propre femme, un véritable calvaire aussitôt lui tendra les bras.

"Cela se passe dans une sorte de trou à rat au plafond bas et aux murs insipides, avec une ampoule grillagée au-dessus de ma tête dont le grésillement continu est en passe de me rendre fou. Ma chemise trempé de sueur me ronge le dos avec la voracité d'un bouquet d'orties. J'ai faim, j'ai soif, j'ai mal..."

Amine, malgré sa bonne réputation et son comportement exemplaire, va devoir faire face à une terrible réalité, celle du conflit Israélo-palestinien. Comment des gens peuvent-ils sciemment se donner la mort et tuer en même temps des êtres innocents et des enfants ? Comment accepter de devenir un martyr, et qui plus est lorsqu'on est une femme qui a tout pour être heureuse ? Voilà les questions auxquelles Amine va tenter de répondre - car lui ne soupçonnait rien du désir de sa femme - dans une quête de vérité qui ne lui laissera aucune possibilité de bonheur.

Car Amine se retrouve pris entre deux feux. Les israéliens vont immédiatement le soupçonner et tenteront de lui faire porter la responsabilité de l'acte de sa femme, tandis que les palestiniens ne voudront pas lui dévoiler les agissements de sa femme puisque lui-même à tourner le dos à leur combat.

"Je ne me souviens pas d'avoir applaudi le combat des uns ou condamné celui des autres, leur trouvant à tous une attitude déraisonnable et navrante. Jamais je ne me suis senti impliqué, de quelque manière que ce soit, dans le conflit sanglant qui ne fait, en vérité, qu'opposer à huis clos les souffres-douleur aux boucs émissaires d'une Histoire scélérate toujours prête à récidiver."

Khadra tente de livrer le destin d'un homme qui a choisit de rester neutre dans un conflit où il faut choisir son camp si l'on ne veut pas se retrouver frapper des deux côtés. Il ne démêle pas les nœuds du conflits mais jette un regard lucide sur une situation qui a largement dégénéré, et où chacun doit réagir si il ne veut pas continuer ad vitam aeternam cette lutte sanglante.

Les tribulations de son héros nous touche, et ce même si l'on est étranger au conflit, car sa volonté de trouver des réponses ainsi que la douleur causée pas la perte de celle qu'il aime nous le rende familier. La force de Khadra est de créer un personnage à la fois si éloigné et si proche du conflit, quelqu'un qui essaie de consolider plutôt que d'aggraver une guerre qui a déjà trop duré. Mais son combat semble voué à l'échec, malgré le soutient de quelques proches des deux camps, car celui qui s'oppose à l'affrontement sera le premier à en subir les frais.

Malgré tout, après un début véritablement prenant, "L'attentat" subit une petite baisse de régime à mi course, mais s'achève convenablement avec une fin émouvante. Un livre puissant donc, qui dénonce sans alimenter les violences, et qui mérite le détours.

R.P.



05/06/2013
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