Contre-critique

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"La colonie pénitentiaire" de F. Kafka

 

"La colonie pénitentiaire et autres récits" de Franz Kafka.

 

"Le condamné avait d'ailleurs l'air si caninement résigné qu'il semblait qu'on eût pu le laisser courir en liberté sur les pentes et qu'il aurait suffi de siffler pour le faire venir à l'heure de l'exécution."

Telle est la nature de la plupart des personnages secondaires chez Kafka ; des êtres qui se plient aux volontés extérieures, à l'ordre établi, sans jamais remettre en cause le système. La réflexion qui mène à l'opposition ne trouve sa place nulle part, si ce n'est dans les personnages principaux. Le héros confronté à un système qui le dépasse est une constante chez Kafka, et c'est ce que l'on retrouve, à quelques nuances près, dans "La colonie pénitentiaire", qui rappelle "Le procès" mais aussi "Le château" du même auteur.

"- Notre sentence n'est pas sévère. On grave simplement à l'aide de la herse le paragraphe violé sur la peau du coupable."

Voilà ce que dira l'officier à notre voyageur circonspect, qui découvre une machine qui donne tout de même la mort après 12h de torture. Mais l'officier est si fasciné par l'appareil, qu'il s'en occupe et le bichonne tout en donnant une pléthore d'explication au voyageur pour le convaicre du bien-fondé de sa machine.

"...il veut me soumettre à votre jugement, celui d'un étranger de marque. Son calcul est savant ; vous n'êtes dans l'île que depuis un jour, vous n'avez pas connu notre ancien commandant, vous ignorez les préoccupations qu'il avait, vous êtes encore plein d'idées européennes, peut-être êtes-vous même un adversaire systématique de la peine de mort en général et, tout particulièrement, d'un mode d'exécution aussi mécanique."

Le débat est donc ouvert entre ces deux hommes, celui qui encense le procédé et celui qui refuse de s'impliquer publiquement dans sa prise de position. Voilà ce qui distingue "La colonie pénitentiaire" des autres romans de Kafka précédemment cités ; ici le héros ne livre pas une lutte perdue d'avance jusqu'au bout, il se contente de s'opposer à ce que l'on attend de lui, et il y parvient.

Cette première nouvelle, réussie, reflète convenablement le style de l'auteur, malheureusement les suivantes, bien qu'elles ne soient pas du tout exemptes d'intérêt, ne sont pas suffisamment abouties à mon goût. Je passerai donc "Le premier chagrin", "Une petite femme", "Un champion de jeûne" ( qui est la plus intéressante ) et "Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris".

"Car Joséphine est d'un avis tout opposé, elle croit que c'est elle qui protège le peuple. Ce serait son chant qui nous sauverait de nos périodes de crise politique ou économique, il n'obtiendrait pas moins que ce grand résultat, et, s'il ne chassait pas le malheur, il nous donnerait du moins la force de le supporter."

L'autre grande nouvelle du recueil s'intitule "Le terrier". Kafka s'immisce dans la tête d'un fouisseur et nous livre le monologue intérieur de l'animal. La nouvelle est malheureusement inachevée, mais durant un cinquantaine de pages, l'auteur nous fait partager la vie de l'animal, enfoui dans son terrier, et nous fait basculer dans son univers. Au fil des pensées du fouisseur, on arpente les galeries souterraines labyrinthiques, on découvre les réserves de nourriture, les stratégies de défenses, la minutie du travail, mais aussi la solitude et la peur de l'autre. Le terrier est synonyme de paix et de réconfort, car l'animal y vit caché, à l'abris du monde, mais lorsque le bruit viendra perturber le calme habituel et quotidien, le fouisseur émettra les pires hypothèses et basculera dans une sorte de panique mentale.

"Il y a ici beaucoup d'ennemis et, encore plus, d'auxilières de l'ennemi, mais ils se combattent entre eux, et pendant qu'ils s'entre-dévorent mon entrée reste inaperçue. Je n'ai encore jamais vu quelqu'un chercher réellement à l'entrée de mon terrier, pour mon bonheur et pour le sien, car, de souci pour ma maison, je me serais certainement jeté en aveugle à sa gorge."

Difficile de démêler la vraie menace de la paranoïa dans ce récit tendu et psychologique, dont la pensée de l'animal laisse paraître la métaphore.

Le dernier texte du recueil est "La taupe géante", une histoire dans laquelle un homme essaie de venir en aide à l'auteur d'un témoignage, un magister qui découvrit une taupe géante. Mais personne ne porta d'intérêt majeur au magister, excepté le héros qui, voulant faire parler de l'affaire, deviendra malgré lui, son ennemi. Une nouvelle réussie, pourtant trop courte pour être pleinement appréciée.

Ce recueil est donc une œuvre mineure mais malgré tout très pertinente de la part de Kafka, dont les adeptes pourront se délecter mais qui n'est pas la plus appropriée pour découvrir l'auteur.

R.P.



09/06/2012
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