Contre-critique

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"Le nécrophile" de G. Wittkop

 

"Le nécrophile" de Gabrielle Wittkop.

 

"Amour nécrophilique, le seul qui soit pur, puisque même amor intellectualis attend être payé de retour. Pas de contrepartie pour le nécrophile amoureux, le don qu'il fait de lui-meme n'éveille aucun écho."

Ouvrage épuisé qui n'est plus sujet à de nouveaux tirages, et pour cause, "Le nécrophile" est un brûlot sur les amours interdites, écrit par une femme et publié en 1972. On y découvre le journal intime de Lucien, un antiquaire qui nous raconte ses aventures sexuelles avec les défunts.

"Je ne déteste pas mon métier ; ses ivoires cadavéreux, ses faïences blêmes, tout le bien des morts, les meubles qu'ils ont faits, les tableaux qu'ils ont peints, les verres où ils ont bu quand la vie leur était douce."

Wittkop compare le métier d'antiquaire à un état nécrophilique parfait. Certains s'en offusqueront et l'auteur pourrait leur rétorquer que la mort est indissociable de la vie. Elle développe le quotidien d'un homme qui déterre les morts et s'adonne à des jeux sexuels avec eux.

"J'ai écarté les cuisses pour contempler la vulve mince comme une cicatrice, aux lèvres transparentes d'un mauve pâle. Mais il me faudra attendre encore quelques heures car, pour l'instant, tout le corps est encore un peu rigide, un peu crispé, jusqu'à ce que la chaleur de la chambre l'amollisse comme une cire."

Il est vrai que l'essentiel de ce très court roman - moins de cent pages - consiste en une succession de découvertes macabres. Lucien décrit par le menu ses expéditions, notamment dans le cimetière de Montmartre, et ses rapports érotiques.

"Je courus m'enfermer dans ma chambre, je me jetai sur le lit et m'adonnai aux voluptés solitaires. Devant mes yeux fermés, je voyais Gabrielle se balancer doucement, pendue à un crochet du plafond."

Le narrateur confie dans son journal qu'il s'est épanché pour la première fois devant le cadavre de sa mère, enivré par l'odeur de la mort. Il va par la suite exploiter son attrait pour le morbide. Wittkop ne prend pas parti mais dénonce l'hypocrisie moralisatrice ; et elle dévoile, entre autres, la pratique nécrophilique au sein de l'église, lors d'un passage surprenant - dont Lucien est le témoin - écrit comme si l'auteur elle-même l'avait vécu :

"La scène m'avait diverti par son fumet de fabliau rustique, j'y avais vu comme une plaisante allégorie du monde chrétien investi par le paganisme. Quand au sacrilège, il y a longtemps que je n'y crois plus."

Lucien flirte fréquemment avec le danger car il commet des actes illégaux. La population, les divers bonnes qui se succèdent chez lui, et surtout la police, refusent d'accepter de tels agissements et le prennent parfois en chasse.

"Sans doute avais-je été aperçu par les ouvriers de l'usine à gaz. Ils me chassaient comme les chiens le lièvre et comme lui je courais en zigzag, à travers les rues nocturnes de Levallois."

Passé le dégoût des premiers ébats, on se rapproche du personnage principal et son quotidien de marginal devient touchant. Malgré les actes difficilement voluptueux, l'écriture de Wittkop est douce et agréable et de nombreux passages peu ragoûtant deviennent poétique et plaisant à lire. Le côté malsain s'estompe quelque peu au fil des pages et cela nous permet d'apprécier le récit.

"Suzanne mon beau Lis, la joie de mon âme et de ma chair, se marbrait de plaques violâtres. Je multipliais les sacs de glace. J'aurais voulu garder Suzanne toujours. Je la gardais presque deux semaines..."

"Le nécrophile" est une œuvre coup de poing, audacieuse, surprenante et sublime, qui aborde un sujet plus que délicat, avec une sincérité et une franchise remarquable malgré son aspect anecdotique et inintéressant ; à réserver tout de même aux curieux qui n'ont pas froid aux yeux.

R.P.



10/12/2011
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