Contre-critique

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"Le Roi en Jaune" de R.W. Chambers

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"Le Roi en Jaune" de Robert W. Chambers.

 

Recueil en dent de scie qui voit l'auteur méconnu en France, Robert W. Chambers, revenir sur le devant de la scène grâce à la série "True Detective", "Le Roi en Jaune" n'en est pas moins un aperçu éloquent d'un travail méritoire et avant-gardiste. Moins particulier, dense, technique et assommant que Lovecraft, Chambers se rapproche davantage de Poe, malgré son manque d'homogénéité et nombre de nouvelles peu complexes et originales. Le point commun des premières : la mise en abîme de chacune d'elles grâce à l'apparition du fameux livre homonyme, intitulé "Le Roi en jaune", qui attise la folie.

"Lorsqu'il eut fermé la porte à double tour et poussé un gros coffre devant elle, il vint s'asseoir près de moi, me regardant avec insistance de ses petits yeux délavés. Son nez et ses joues portaient de nouvelles traces de griffures..."

Dans "Le restaurateur de réputations", on suit le parcours de Hildred Castaigne, le narrateur qui, après une chute de cheval, se fait suivre par la docteur John Archer. Castaigne vit à New York et voit l'abrogation de la loi interdisant le suicide, ainsi que l'inauguration de la Chambre terminal, en 1920. Chambers écrit donc un récit prémonitoire puisqu'il anticipe l'évolution du monde. Cette nouvelle est également l'occasion pour l'auteur de nous parler du "Roi en jaune" un livre que son héros a acheté et lu, malgré son envie de le mettre au feu, ainsi qu'un individu dont Hildred se révèlera être le serviteur.

Le suspense de cette première nouvelle est efficace ; la manière d'introduire le personnage de M. Wilde par exemple, à travers le dialogue et en ne faisant que le citer, sans le faire apparaître, est vraiment astucieuse. Cela permet d'établir une aura intrigante et ambivalente concernant son savoir, juste avant sa découverte dans le chapitre II dont la description va parachever l'étrangeté. La manière de disséminer des bribes de l'intrigue principale tout au long du récit est également une très bonne chose, car le dessein de la secrète et ample société, qui semble mise en place par l'intermédiaire de M. Wilde, ne se dévoile que peu à peu au lecteur. Une excellente entrée en matière donc, qui rappelle le meilleur de Poe, avec un chat, une machination, la folie qui guette et un dénouement sublime de noirceur et d'ingéniosité, car elle maintient l'ambigüité.

La seconde nouvelle, "Le masque", débute avec la transformation d'une fleur en marbre. C'est Boris Yvrain qui parvient à ce miracle grâce à sa cuve emplie d'un mystérieux liquide. Jack Scott, ainsi qu'Alec, le narrateur, sont ses amis ; tous trois sont des peintres dans la vingtaine. Le drame qui s'apprête est malheureusement trop commun et prévisible et cette nouvelle se révèle mineure.

"Je ne vois pas son visage, mais il a l'air si gras et mou... Je ne sais pas pourquoi, continua-t-elle en me regardant, mais il me rappelle un rêve que j'ai fait - un rêve affreux."

La suivante, "Le Signe jaune", marque le retour réussi de l'horreur. Avec son personnage secondaire immonde et gras, qui hantera tous les autres protagonistes de sa présence quasi surnaturelle et tenace ; les autres étant essentiellement monsieur Scott - celui du "masque" ? - et sa muse Tessie. Les rêves semblent ici mêlés à la réalité, et les passages angoissants sont nombreux.

Dans "La cour du Dragon", nouvelle succincte et plus commune, on voit tout de même la persécution efficace du héros par un organiste malfaisant, depuis l'église Saint-Barnabé.

Par contre on déconseille fortement "La demoiselle d'Ys" qui n'a pas ou peu d'intérêt et annonce les romances mielleuses et vaguement irréelles que Chambers écrira par la suite, tout comme la suivante "La rue des Quatre-Vents".

Par la suite les nouvelles redeviennent plus conséquentes. À commencé par "La rue du premier obus" qui, bien qu'elle ne frôle même pas le fantastique, s'avère prenante. L'histoire d'amitié entre Jack Trent et Georges West, ainsi que leurs compagnes respectives, dans le Paris de 1870 où la guerre gronde et se rapproche de Montmartre, est une réussite. Les personnages sont bien développés, leur quotidien rempli de péripéties, et l'histoire du premier obus sur le Quartier latin sensationnelle. Lorsque Trent part à l'assaut cela devient aussi brumeux qu'inquiétant !

"Alarmé, il regarda le soldat le plus proche, qui haussa les épaules et ouvrit la bouche pour parler, mais quelque chose le frappa et il bascula et roula dans la tranchée au-dessous. À cet instant le cheval d'un officier fit un bond et recula parmi la masse humaine en lançant des ruades."

L'antépénultième, "La rue Notre-Dame-des-Champs", s'apparente à une histoire d'amour entre le naïf Hastings et la belle Valentine, cette dernière, issue du Quartier latin, n'étant pas aussi respectable qu'Hastings le croie. Et dans le même temps, elle est courtisée par Clifford, qui les côtoie elle et lui. Chambers développe une sorte de marivaudage plutôt bien ficelé et drôlement anodin. Tout comme la dernière "Rue barrée" qui reprend les personnages de Clifford, Elliot et Rowden, on rerouve une histoire d'amour triangulaire identique à la précédente. L'écriture est agréable et l'on suit sans peine la mésaventure de Selby, pourtant Chambers écrit ici de petites romances parfaitement anodines.

Deux styles totalement opposés se télescopent dans ce recueil. Une première partie envoutante et fantastique et une seconde, plus importante, portée par l'amour des jeunes femmes parisiennes.

À réserver aux amateurs, car Chambers n'a rien à voir avec la série "True detective".

R.P.



22/04/2015
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