Contre-critique

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"Le Sentiment du Fer" de J-P. Jaworski.

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"Le Sentiment du fer" de Jean-Philippe Jaworski.

 

"Malheureusement, au sommet du beffroi, l'assassin repéra une vigie. Irritante silhouette, trop chétive pour être celle d'un spadassin ; le guetteur avait tout l'air d'un gamin, un petit laquais ou un marmiton. Ce freluquet n'en restait pas moins un gros problème : même s'il montait une garde distraite, il devait avoir l'œil affûté et la voix perçante."

Recueil de nouvelles, cet ouvrage va permettre à tous les non initiés, avant de s'attaquer au titre phare et colossal de l'auteur - le dénommé "L'Art de la Guerre" - de découvrir l'étonnante plume de Jaworski afin de savoir s'ils en sont conquis. En effet l'écriture de Jaworski est singulière, multiforme et, dans la première nouvelle par exemple, truffée de mots empruntés à un vocabulaire populaire d'un autre temps. Le phrasé s'en révèle pourtant moderne, argotique et proche d'un parlé n'ayant plus cours. Cela pourra soit déstabiliser les amoureux de la littérature classique, soit les enchanter. Mais que l'on aime ou pas, force est de constater que Jaworski a du style.

"Le Sentiment du Fer" est bien entendu un récit de cape et d'épée, une compilation d'aventure et d'action. La première nouvelle, éponyme place l'assassin Cuervo au seuil de sa future mission. Ce dernier doit récupérer un fameux manuscrit signé par l'illustre Soledano dans la demeure du sénateur Lucrosio Rapazzoni. Pour cela on découvre Cuervo perché sur les hauteurs de la piazza Palatina, en plein repérage avant l'action.

Le rythme est tendu, le langage fleuri, et les images nous parviennent sans peine tandis que le récit s'écoule en s'étoffant d'exploits individuels. Cuervo fait preuve de bravoure et son chemin s'apparente à celui d'un nouveau héros en devenir.

"Ce trait d'esprit du chef de bande a enfin secoué l'hébétude des coupes-jarrets. Des rictus narquois ont commencé à fleurir sur les museaux couturés. Les routiers se sont approchés, et bientôt, le godelureau s'est retrouvé cerné par des gueules patibulaires et des renvois de vinasse."

La seconde nouvelle, "L'elfe et les égorgeurs", laisse place à Annoeth, un ménétrier qui demandera l'hospitalité à une bandes de malfrats. Ce voyageur à la faconde habile devra en user pour se sortir du piège dans lequel lui-même s'est enferré. La nouvelle est simple mais bien amenée, avec sa légère dose de suspense, et permet à l'auteur de livrer son intérêt pour le beau langage.

La transition est toute faite pour accueillir "Profanation", un récit qui fonctionne lui aussi sur la loquacité du personnage central, un filou détrousseurs de cadavres mis en jugement. Mais "Profanation" s'avère plus réussi et divergent par rapport au précédent texte. Quant à la fin, elle se révèle surprenante et sèche dans sa brièveté.

"La lame se fraie une voie brutale dans la fourrure pelée, la graisse, les muscles, racle des os, et perce le cœur. Le fauve expulse un rugissement assourdissant qui mue en mugissement pathétique, est secoué de soubresauts. Il crache une pleine pinte de sang sur le splendide heaume du nain..."

"Désolation" nous mène dans un périple au milieu de monts escarpés et de galeries sous-terraines, avec une poignée de nains dirigeant une cohorte de gnomes. On pense bien évidemment à Tolkien et son "Seigneur des anneaux", d'autant que pour venir en aide à des alliés en guerre, la troupe va passer par Wyrmdale, où repose endormi, un dragon, sans compter les gobelins qui leur tendront une embuscade. Indubitablement tournée vers l'action, cette nouvelle est largement la plus grandiose et la plus divertissante du recueil !

Dernière nouvelle, "La troisième hypostase" révèle une enchanteresse nommée Lusinga, qui après une néfaste prémonition rencontrera, en apparition, l'elfe Gilliomer, avant de devoir combattre un sorcier aussi atypique que puissant. Ce résumé ne traduit pas l'écriture malencontreuse de l'auteur qui, pour une fois, dessert son propos. Certes c'est très bien écrit mais l'accumulation de mots de vocabulaire entache et obscurcit un récit qui manque de simplicité et s'évertue à devenir une sorte de très longue poésie, expressive mais qui s'avère dénuée de toute émotion. Les mots fourmillent, tout comme les images, au détriment de la narration et du sens on ne peut plus simpliste du fond, dont la forme semble un exercice de style mal abouti. Dommage car même les amoureux de la poésie ne seront pas conquis devant cette déferlante de le forme, aussi jolie que vaine et lassante à la longue.

On regrette donc que les nouvelles soient si disparates dans leur style individuel, faisant que l'ensemble manque cruellement de cohérence. On regrette également qu'il n'y ait pas de sommaire, car pour un recueil de nouvelles, c'est vraiment gênant ; une erreur que la collection Hélios devrait rectifier d'urgence. Sinon les fans de Jaworski y trouveront leur compte, car l'auteur ne manque jamais de panache dans ces récits !

R.P.



27/09/2015
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