Contre-critique

Contre-critique

"Un Yakuza chez le psy" de H. Okuda

Unknown.jpeg

"Un Yakuza chez le psy & autres patients du Dr Irabu" de Hideo Okuda.

 

 "Alors comme ça, vous venez de Shizuoka, vous êtes employé et vous souffrez d'insomnie. Si vous ne pouvez pas passer régulièrement, on va vous faire une injection avec une seringue de bonne taille. Ha, ha, ha !"

Psychiatre d'une clinique générale, le docteur Irabu possède des méthodes de traitement douteuses et extravagantes, et se révèle totalement accroc aux piqures de vitamines qu'il inflige systématiquement à ses patients. Il est également le personnage récurrent de ce recueil de nouvelles dont chacune d'elles voit débarquer dans son cabinet un nouveau client à soigner. Pourtant la folie apparente du Dr Irabu, cette sorte d'enfant désinhibé pesant un quintal, permet de mettre en relief les troubles dont sont victimes ses patients dits raisonnés. Ainsi chaque histoire, qui voit l'arrivée d'un nouveau héros se retrouvant confronté à ses propres angoisses, permet au Dr Irabu, qui au départ ne semble pas habilité à leur venir en aide, de peu à peu les sortir de leur conflit intérieur.

Vous l'aurez compris, ce roman, récompensé par le prix Naoki au japon, est une compilation de moments désopilants et instructifs car les remèdes d'Irabu sont extrêmement farfelus et les problèmes des patients peuvent faire écho aux nôtres.

"Pas ému pour deux sous, Irabu souriait. N'importe qui d'autre, normalement, se serait tenu à carreau en apprenant qu'il se trouvait face à un yakuza. N'avait-il donc pas peur ?"

La première nouvelle, "Trapèze", révèle une certaine émotion en fin de récit, lorsque le héros trapéziste Kôhei parvient à reprendre espoir en l'autre et en sa discipline. L'auteur, Hideo Okuda, ébranle ainsi nos certitudes et interroge la remise en question de soi-même ; car, en équipe, les problèmes rencontrés ne viennent-ils pas de nous-même ? Pourquoi rejetons-nous sans cesse la faute sur autrui ? Grâce aux personnages et au talent de l'auteur, la réaction d'Irabu concernant la responsabilité potentielle d'Uchida, et le fait qu'il accable ce dernier, permet de pointer habilement du doigt le problème de Kôhei. "Trapèze" est donc une excellente entrée en matière, et permet d'apprécier pleinement le style burlesque et intelligent de l'auteur.

La deuxième nouvelle, "Le hérisson", est celle dont est tirée le titre du livre. Celui d'un yakuza apeuré par tout objet pointu. Le lecteur, accoutumé désormais du docteur (surtout s'il a lu le précédent recueil "LesRemèdes du Docteur Irabu"), y prend toute la mesure de son côté infantile, insouciant et sans complexe. Et tandis que le franc parlé d'Irabu déstabilise systématiquement ses patients, mais également le lecteur, ce dernier va impatiemment attendre à de nouvelles pantalonnades de sa part.

Le résumé du livre ne parle pas de la troisième nouvelle, "La moumoute du beau-père", qui fait pourtant partie des meilleures nouvelles du livre, car elle en révèle davantage sur le Dr Irabu, ce personnage atypique, désopilant et attachant, considéré comme la "calamité de la médecine" par ses confrères.

Malheureusement, comme on peut le lire dans ce passage : "Tu en as marre d'écrire des romans (...) qui ne sont que des suites de permutations et de combinaisons, voilà tout." Comme le dit Sakura à la romancière Aiko, on a l'impression que l'auteur utilise surabondamment sa formule miracle. Ainsi chaque nouvelle finit par ressembler à la précédente. Les trois premières forment la surprise et sont extrêmement agréables, mais la quatrième "Hot corner" rappelle trop "Trapèze", car toutes deux prennent un sportif de haut niveau qui rencontre des incapacités subites dans un mouvement qu'il maîtrisait jusqu'alors à la perfection. Ensuite la dernière nouvelle, "La romancière", est celle de trop, celle qui, bien que cocasse et plaisante, nous fait prendre conscience que chaque nouvelle d'Okuda est basée sur la même structure en quatre parties, avec présentation et arrivée du problème, début de solution, climax empirique et résolution du problème. Du coup le lecteur ressent trop l'idée de permutation de personnages pour le même modèle structurel, et la répétition finira par lasser le lecteur exigeant.

On passe un agréable et divertissant moment de lecture, et la découverte de Hideo Okuda, avec son docteur accompagné de son assistante sexy, risque d'être une révélation pour beaucoup, mais ces cinq psychanalyses révèlent aussi leur manque de profondeur, on sent que l'auteur se tient sur des rails et qu'il reprend systématiquement sa formule magique, alors qu'on aurait souhaité une prise de risque, ou une surprise dans le squelette narratif.

R.P.



02/06/2015
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres