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"L'Ultime Question" de J. Zeh

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"L'Ultime Question" de Juli Zeh.

 

"Nombreux sont les gens qui ne peuvent souffrir leurs congénères, mais bien peu sont en mesure de le justifier de façon précise. Il leur pardonne d'être tous composés de protons, de neutrons et d'électrons. Il ne saurait leur pardonner leur incapacité à supporter dignement cette triste réalité."

Sebastian et Oskar sont amis depuis les bancs de l'université et, tous les vendredis, ils déjeunent ensemble chez Sebastian, ce dernier vivant avec sa femme Meike et leur fils Liam. Pourtant, et malgré le lien qui les unit, chacun de ces deux éminents chercheurs possède sa vision personnelle concernant les notions de temps et d'espace. Oskar tente d'unifier mécanique cantique et théorie de la relativité universelle, tandis que Sebastian s'entête dans la théorie des mondes multiples.

Après un premier chapitre qui déploie l'une de ces soirées du vendredi, tout va basculer dès le deuxième chapitre, tandis que Liam disparaît alors que Sebastian s'apprêtait à l'accompagner chez les scouts. Dès lors, le roman oscille entre polar et science-fiction.

"Une révolution plus importante encore que la théorie des mondes multiples. A vrai dire, peu importe que Sebastian y croie encore ou non. Il ne lui reste pas d'autre solution que de poursuivre dans la voie où il s'est engagé."

Après ce que le lecteur peut considérer comme un enlèvement, Sebastian, personnage central du début du roman, va devoir écouter une voix au téléphone qui lui annoncera quoi faire. Le suspens demeure entier tandis que Sebastian est sur le point de supprimer Doppelting, chef de clinique et cycliste ami de Meike.

Nous surprenant à chaque nouvelle partie, "L'Ultime Question" prend des chemins de traverse et bouleverse le quotidien de ses personnages. Plusieurs hypothèses s'offrent au lecteur à chaque nouvel évènement et ce dernier semble pressentir l'élaboration d'un plan complexe mené par l'auteur. Juli Zeh mêle l'anodin à l'extraordinaire, de par des théories de l'univers.

"Notre Terre n'était donc pas plus probable que de tirer neuf fois d'affilée le chiffre six au loto. Stochastiquement parlant, on peut considérer que l'humanité n'existe pas. L'improbabilité de leur présence écrase littéralement les hommes et constitue la raison de leur irrépressible désir de s'inventer un créateur."

L'écriture de Juli Zeh enchante. Ses tournures de phrases sont un régal pour le lecteur qui croit découvrir un véritable auteur à chaque page. Sa manière de personnifier les objets, par exemple, est très intéressante. Certains passages sont sublimes, simplement par sa manière de les écrire.

"...quand le jardin tout à coup s'anime. Les phares d'une voiture s'emparent d'une poignée d'arbres avant de les rejeter immédiatement dans l'obscurité. Des silhouettes d'ombres courent sur l'herbe. La grille se penche vers a gauche..."

Malheureusement, passées les joies de la découverte, on n'échappe pas à quelques baisses de rythme, et tandis que les commissaires Rita et Schilf entrent tour à tour en scène, le soufflet retombe un peu. Mais cela ne saurait durer car Schilf ne tarde pas à révéler au lecteur la voix intérieure qu'il perçoit, offrant un nouveau niveau de lecture. Et la seconde moitié du roman, qui se centre sur le commissaire Schilf, récupère toute l'attention du lecteur tandis que ce dernier s'attache puissamment aux personnages.

Juli Zeh glisse dans son récit des théories extrêmement intéressantes, par le biais des protagonistes. Ainsi, dans le cinquième chapitre, partie 4, les dialogues entre Schilf et Sebastian, à propos de la cause et de l'effet "La cause de sa construction, c'était son achèvement" ou concernant le hasard, sont captivants :

"(...) et que seules les extrémités de deux ramifications émergent à des endroits différents. Notre promeneur ne considérera pas cela comme une coïncidence grotesque. Il pensera à juste titre que les branches sont reliées sous l'eau. Sans le savoir, il a compris ce qu'est le hasard."

La compréhension de l'affaire de meurtre est remarquablement amenée ; suffisamment complexe pour nous faire travailler les méninges et suffisamment précise pour ne pas devenir abracadabrante. On dévore la fin de cette "Ultime Question" avec délice.

En clôturant le livre, on ne peut s'empêcher de reprendre la lecture à la première page, en comprenant tout l'enjeu de l'onirisme virevoltant de la narration de Juli Zeh, qui semble avoir pondu là un chef-d'œuvre, en se substituant à un oiseau. Rien n'est laissé au hasard et son écriture est parfaitement maîtrisée. À lire aussi : "Corpus delicti"

R.P.



20/06/2014
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