Contre-critique

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"Cent ans de solitude" de G. Garcia Marquez

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"Cent ans de solitude" de Gabriel Garcia Marquez.

 

"Il l'attendait éveillé jusqu'à l'aube, dans le lit déserté qu'on aurait dit tapissé de charbons ardents, puis tous deux restaient sans dormir, à parler jusqu'à l'heure de se lever, si bien que l'un et l'autre ne tardèrent pas à souffrir de la même apathie, à témoigner d'un semblable mépris pour l'alchimie et le savoir de leur père, et à trouver refuge dans la solitude."

Écrit avec virtuosité, ce roman dense et foisonnant ne cesse, au départ, de nous épater. Il reprend toute l'histoire de Macondo, ce village mystérieux qui regorge de personnages atypiques et rocambolesques, à commencer par José Arcadio Buendia, puis son jeune fils Aureliano.

Le récit se maintient continuellement sur le fil du possible. Entre démesure, fait inexplicable et fantasmagorie. On se demande toujours si le roman ne va pas franchement basculer dans un autre registre que celui du réalisme, mais il s'y maintient fréquemment. "Cent ans de solitude", c'est un peu la grandiloquence narrative, employée dans un sens non péjoratif et par opposition à la simplicité et à la sobriété. Les personnages sont souvent pris par la folie des grandeurs et se lancent sans modérations dans leurs obsessions. Ainsi Macondo se voit à la tête d'une mirifique compagnie bananière, abrite des dirigeants de guerre, et connait trois années de pluie ininterrompue.

"C'étaient trois régiments dont le pas, au rythme du tambour de galériens, faisait trembler la terre. Leur haleine de dragon multicéphale chargea d'une vapeur pestilentielle l'atmosphère limpide de la mi-journée. Ils étaient petits, massifs, bestiaux."

La guerre occupe une place importante dans le livre, néanmoins, l'amour reste le thème central de ce roman. Ii revient hanter chaque protagoniste, comme une ritournelle au fil des générations successives. Bien que l'auteur nous narre toute la descendance des Buendia avec enfants et petits-enfants qui deviendront à leur tour parents et grands-parents, et que certains s'expatrient ou s'isolent, nombreux sont ceux qui se verront pris de passion pour le sexe opposé.

"Elle fut forcée de le supporter contre son gré, pour le restant de ses jours, à cause de cette minute de vérité où elle n'eut pas le courage de mettre à exécution ce qu'elle avait secrètement résolu : de le noyer dans le bassin."

Malheureusement, au fil des pages, on a tendance à se lasser de cette narration de type "on expose le résumé des faits qui se sont écoulés", qui s'étend sur des années et des années, par blocs successifs de texte, et qui se répète malgré les variations que l'auteur lui accorde. Par ce principe, la narration survole les faits, même si elle se révèle particulièrement pointilleuse dans l'énumération des détails, ce qui nous empêche de vivre pleinement la situation présente. Et même si tout est raconté avec minutie, on a constamment l'impression de survoler l'histoire qui demeure racontée et non vécue. Et le fait de ne pas vivre pleinement l'histoire essouffle notre lecture, ce qui est préjudiciable au vu de la profusion de l'imaginaire de l'auteur qui fascine bien souvent.

"Il n'y avait, dans le coeur d'un Buendia, nul mystère qu'elle ne pût pénétrer, dans la mesure où un siècle de cartes et d'expérience lui avait appris que l'histoire de la famille n'était qu'un engrenage d'inévitables répétitions, une roue tournante qui aurait continué à faire des tours jusqu'à l'éternité, n'eût été l'usure progressive et irrémédiable de son axe."

Un livre qu'on est content d'avoir lu, après être arrivé au bout, car il contient des passages brillants, mais qui déçoit par rapport à sa renommée. On privilégiera, pour aborder l'auteur, des livres tels que "12 contes vagabonds" ou "Mémoires de mes putains tristes".

R.P.



04/04/2022
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