Contre-critique

"Courrier sud" d'Antoine de Saint-Exupéry.

"Et Bernis te serrait plus fort et tes yeux devenaient brillants de larmes sans que tes lèvres se soient enlaidies, comme aux vieilles qui pleurent, et Bernis me disait que ces larmes venaient du coeur soudain rempli, plus précieuses que des diamants, et que celui qui les boirait serait immortel."

Dans ce premier roman, court et poétique, on suit le parcours de Bernis, un aviateur qui affrète le courrier d'un continent à l'autre. Il est amoureux de Geneviève, un amour de jeunesse, et tente, une fois devenu adulte, de partir avec elle sur les routes, loin de son mari Herlin. Mais l'avenir est retors.

La première chose que l'on puisse dire de ce roman, c'est qu'il est décousu, et ce malgré sa brièveté. C'est son principal défaut. L'écriture elle, bien que parfois très belle, manque souvent de matière. On ne sait pas précisément où l'on se situe ni ce qui se joue au fil des pages. Par exemple, au départ, le narrateur marche dans un désert de dunes, puis il parle de Bernis qui entame son vol en disant de lui "tu", alors qu'ensuite il utilise le pronom "il". Dans la deuxième partie, on passe de Bernis à Geneviève et Herlin, à leur histoire, à leur enfant à naître, puis au drame. Pourtant, on a du mal à s'émouvoir car tout va trop vite et demeure trop flou.

En définitive, on a l'impression d'avoir lu une histoire d'amour avortée, le malheur d'une femme et la disparition de l'amant aviateur, mais sans que les contours de l'histoire soient vraiment dessinés. "Courrier sud" demeure comme un sol instable, on ne sait pas trop comment ni sur quoi on a marché. Par rapport à l'aviation, cela pourrait sembler raccord, certes, et ce serait donc un récit en apesanteur, éthéré, mais aussi impalpable et qui manque cruellement de consistance.

À réserver aux inconditionnels.

R.P.