Contre-critique

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"Crime" de I. Welsh

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"Crime" de Irvine Welsh.

 

"Au sentiment d'aliénation qui se dégage de leurs vêtements, cette impression que donne tout homme habitué à l'uniforme d'être habillé par quelqu'un d'autre, Lennox sait que les occupants d'un des espaces privatifs sont tous des flics qui ont fini leur service."

Pouvant se voir comme la continuité de l'incroyable "Une Ordure", "Crime" reprend le personnage de Ray Lennox, l'ancien partenaire de Robertson, et le place, accompagné de sa femme Trudy, au centre de ce nouveau roman. Tout commence alors que Ray et Trudy sont dans l'avion à destination de L.A. où le couple est censé se détendre et profiter de leurs vacances pour penser à leur futur mariage. Mais Ray est hanté par une affaire criminelle impliquant la disparition de Britney Hamil, une petite fille à priori kidnappée sur le chemin la menant à l'école, et risque à tout instant de rechuter.

Nous sommes bien dans l'univers déjanté de Welsh, avec un cynisme et une crudité de situation particulière, car Ray boit, sniffe, prend des anti-dépresseurs et semble avoir du mal à pénétrer sa femme, pourtant "Crime" est loin d'être aussi trash que "Une ordure". Welsh livre ici un roman plus accessible, moins provocateur, bien que tout aussi plaisant à découvrir. Même s'il faut reconnaître que "Crime" démarre lentement, l'auteur prenant largement le temps d'installer son cadre durant la première centaine de pages, on se laisse embarquer par cette histoire narrant les quelques jours de voyages d'un flic tourmenté et mal dans sa peau qui essaie de se racheter une conduite comme il peut.

"Un peu plus loin, un grand nombre de tours sont en construction. Elles se dressent telle une armée de zombies, sortis de terre à des degrés de composition variable, et hésitant à présent sur la marche à suivre. Des grues géantes et squelettiques semblent s'en nourrir, comme autant de monstrueux rapaces."

Parfois émaillé de passages lyriques ou poétiques, le texte de Welsh demeure avant tout au service de l'idée et ne se préoccupe que peu de l'esthétisme de sa forme. "Crime", dans sa majorité, pourrait presque être écrit par un autre, comparé au sulfureux et inimitable "Une ordure". Malgré tout, on reconnaît notre auteur écossais dans l'obsession de son héros pour les Hearts, la drogue et la rédemption. Pour les nostalgiques de "Une ordure", sachez qu'on retrouve tout de même des personnages flics comme Toal et Drummond dans les chapitres consacrés à Edinbourg, et surtout Ginger qui se trouve lui aussi à Los Angeles.

"Crime" semble creuser un étrange parallèle avec "Lolita" en développant l'histoire d'un homme qui va vivre aux côtés d'une nymphette de 10 ans. Mais contrairement au chef-d'œuvre de Nabokov, Ray Lennox est un personnage qui combat la pédophilie et qui tente de protéger cette lolita des néfastes pervers qui l'entourent plutôt que de l'attirer à lui par amour et se livrer à des relations sexuelles avec elle. Ainsi, à partir du Jour 3, le roman se rapproche d'une sorte de road movie en Floride, avec un héros lancé sur les routes, partant en croisade pour protéger une enfant. On découvre donc un parcours imprévisible, jonché de nouveaux obstacles et de belles éclaircies émotionnelles au gré des heures qui passent. Et on s'attache aux personnages tout en se laissant surprendre par les rebondissements orchestrés par le machiavélique Welsh.

"Tu as dû lutter pour rester silencieux et garder une expression neutre, pour tenter de déceler, sans passion, le moindre élément important. On étudie serial killers, pédos et assassins de la même façon qu'on s'intéresse à la science, à la philosophie ou à l'art, afin de trouver des réponses au mystère de la nature humaine."

Contrairement à la noirceur viscérale et choquante de "Une ordure", "Crime" s'avère beaucoup moins glauque et, bien qu'il traite d'un sujet aussi ignoble que la pédophilie, le roman ne s'achève pas sur une touche morbide ou sinistre, contrairement au précédent, et choisit son opposée : une note d'espoir.

Dans sa résolution, "Crime" est bel et bien un roman policier abouti, mais qui, bien que touchant et prenant, n'est pas en mesure de sortir du lot des polars qui l'environne, de par son aspect légèrement trop conventionnel.

R.P.



27/07/2015
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