Contre-critique

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"La Peau de chagrin" de H. de Balzac

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"La Peau de chagrin" de Honoré de Balzac.

 

"Dans ses rides, il y avait trace de vieilles tortures, il devait jouer ses maigres appointements le jour même où il les recevait. Semblable aux rosses sur qui les coups de fouet n'ont plus de prise, rien ne le faisait tressaillir ; les sourds gémissements des joueurs qui sortaient ruinés, leurs muettes imprécations, leurs regards hébétés, le trouvaient toujours insensible. C'était le JEU incarné."

Comme souvent chez Balzac, le personnage central est en proie à la désillusion, il s'agit de Raphaël, un jeune homme de 25 ans qui est au bord du suicide. Mais plutôt que de se jeter dans la Seine dès le matin, alors que commence l'action, il préfère attendre la tombée de la nuit. C'est alors qu'il découvre, au détour d'un magasin d'antiquités, l'existence de la fameuse Peau de chagrin, qui donne son titre au roman. Il s'agit d'une peau d'onagre aux vertus magiques mais qui est à double tranchant pour son détenteur. Aussitôt après, les désirs orgiaques du jeune homme vont s'exaucer.

Orphelin de mère, son père ayant causé sa ruine, Raphaël va errer et raconter sa vie à son ami Émile. Mais déjà les personnages semblent superficiels. Émile apparaît comme par enchantement, au sortir du magasin, sert d'oreille attentive à un discours à n'en plus finir, puis disparaît du roman.

"À Paris seulement se rencontrent ces créatures au visage candide qui cachent la dépravation la plus profonde, les vices les plus raffinés, sous un front aussi doux, aussi tendre que la fleur de marguerite."

C'est au cours de la partie intitulée "La Femme sans coeur" que le texte se perd en longueur. La relation de maître à élève avec la chaste Pauline, puis l'amour grandissant que Raphaël voue à Feodora, une riche comtesse qui rejette tous ceux qui lui témoignent de l'amour finit par lasser. D'autant que les mots et phrases ont beau être abondants, rien n'est expliqué convenablement. Par exemple, alors que Raphaël n'a plus d'argent depuis trois ans, il trouve des pièces mystérieusement glissées dans des recoins de sa chambre, ce qui est peu vraisemblable, tout comme la mère de Pauline qui lui offre de l'argent, sans raison, alors qu'elle n'est pas riche, ce qui est aberrant. De plus, Raphaël s'aperçoit, malgré sa dévotion pour Feodora, qu'il n'est rien d'autre que son instrument et que la comtesse s'est uniquement servi de lui pour obtenir un entretien avec son cousin, le duc de Navarreins. Mais immédiatement après cela, Raphaël continue de courir après elle et d'avoir d'autres déceptions à son égard, comme s'il avait oublié ce qui venait de lui arriver, ou que l'auteur lui-même ne tenait pas compte de ce qu'il venait d'écrire, ce qui n'est pas du tout logique. 

"Comprends-tu le délire qui m'anima, lorsqu'en ouvrant pour la septième fois le tiroir de ma table à écrire que je visitais avec une espèce d'indolence dans laquelle nous plonge le désespoir, j'aperçus collée contre une planche latérale, tapie sournoisement, mais propre, brillante, lucide comme une étoile à son lever, une belle et noble pièce de cent sous ?"

Comme on s'en doute, après les longs discours, Raphaël va crouler sous l'argent et devenir marquis. Mais ce qui interpelle, c'est que, dans la troisième partie intitulée L'Agonie, il va subitement tomber amoureux de Pauline, alors que tous deux ont désormais de l'argent et qu'il va affirmer que l'argent n'est rien tant qu'il y a l'amour. On songe aussitôt que ce revirement est beaucoup trop superficiel, et l'on se dit : tout ça pour ça ?

Malgré l'écriture formidable et évidemment maîtrisée, certains éléments, tels que ceux précités, sont bien trop factices et peinent à nous faire croire à l'histoire. Sans parler des longs et soporifiques passages dans lesquels la peau, qui rétrécit à chaque nouveau souhait et qui ne donne plus à son héros que quelques mois à vivre, est soumise aux épreuves des divers scientifiques. Leurs commentaires sont aussi lourds qu'exaspérants.

Privilégiez "Le père Goriot", un autre roman de l'auteur bien plus abouti et intéressant que celui-ci. À côté, ce pâle conte métaphorique fait peine tant ses rapports humains sont simplistes et peu crédibles.

R.P.



18/04/2023
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