Contre-critique

"La Poupée" de Daphné du Maurier.

" seuls la roche usée, la sensation du sol, le bruit des vagues qui se fracassaient contre les falaises étaient vrais. C'était le credo de cet humble peuple de pêcheurs ; ils disposaient leurs filets le jour, et ils jasaient le soir sans jamais une pensée pour ces terres de l'autre côté de la mer."

La traduction de ces nouvelles est admirable et l'écriture de du Maurier nous éblouit dès la première nouvelle, intitulée "Vent d'est". Elle narre l'histoire de l'île Ste Hilda, et surtout celle d'un adultère tragique qui frappe Guthrie et sa femme Jane. Même si la finalité n'a rien d'original, la façon dont c'est raconté est admirable. Ce vent d'est, parabole du navire étranger accostant et du désir, s'avère une franche réussite. les mots sont justes, forts et nous font voyager.

Ensuite vient "La Poupée", récit envoutant et diabolique dans lequel un homme tombe amoureux de Rebecca. Mais cette belle musicienne n'est pas seule, elle vit avec une poupée. Le drame psychologique est une nouvelle fois écrit avec sensibilité et une force évocatrice sans pareille.

"Elle était impossible à cerner, insaisissable, et pourtant c'était le contrôle fatal qu'elle exerçait sur elle-même qui m'atteignait en plein coeur, c'était cela qui me détruisait, faisant de mon amour pour elle une obsession, un élan terrible, irrésistible."

Les nouvelles suivantes sont toutes dans le même ton. Du Maurier berce ses personnages de vives déceptions et de profondes désillusions. Les histoires d'amours sont cruelles, les rencontres désolantes, et les espoirs déçus sont légions. Alors certes, deux premières nouvelles sont les plus efficaces, mais la narration dans chacune est si agréable, les idées si désinvoltes, que c'est un véritable plaisir de les lire.

"Alors c'était ça l'âge adulte ; un tissu sordide de relations intimes aussi complexes qu'ignobles. Rien de charmant ni de romantique. Elle devrait vivre de cette façon à son tour, être fausse, être dure, porter le même masque que sa mère."

Quel plaisir que les écrits d'une femme qui dénature avec tant de talent la passion romanesque.

À lire d'urgence !

R.P.