Contre-critique

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"Ladivine" de M. NDiaye

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"Ladivine" de Marie NDiaye.

 

"De sorte que, un jour où sa mère était venue la chercher à l'école et qu'une fille, lui adressant la parole pour la première fois, lui demanda, avec une moue étonnée et dégoûtée, qui était cette femme, Malinka répondit : C'est ma servante, et il lui sembla qu'elle disait là une grande vérité."

Dès le départ, on sait qu'on ne lit pas un roman facile. Le ton est littéraire, comme toujours chez NDiaye, et l'on navigue dans la tête des protagonistes, au gré de leurs pensées et de leurs vérités masquées, tandis que la situation s'éclaire peu à peu en se dessinant au fil des pages. Les apparences et le racisme sont véritablement au coeur des premières pages de ce roman où tout se joue sur les non-dits. On y découvre Malinka, une femme qui ne ressemble pas à sa mère et qui, pour s'en écarter davantage, devient Clarisse Rivière. Au cours de la première partie, franchement réussie, on apprend comment la petite Malinka, qui n'était pas douée en classe, en arrive à quitter l'école et à changer d'identité, s'éloignant ainsi de plus en plus de sa mère. Puis l'on découvre sa vie de femme, d'épouse et de mère. C'est d'ailleurs elle qui donnera son nom au roman en appelant sa fille Ladivine.

"Mais, pensait-elle la gorge nouée, si votre mère mérite amplement votre amour et que vous ne le lui donnez pas, que vous le gardez soigneusement par-devers vous, que penser d'une personne pareille ? Si votre mère vous fait honte et que vous la tenez en dehors de tout ce qui vous concerne, qui êtes-vous donc ?"

Tout en subtilité, et parfaitement affûté dans ses descriptions psychologiques, le récit pourrait se rapprocher de ceux de Nathalie Sarraute, bien que le déroulement soit plus précis et moins porté sur les dialogues et les mots usités par les personnages. Les deux cent premières pages sont particulièrement prenantes et l'on se pique d'intérêt pour chaque rebondissement, comme avec le chien des beaux-parents ou encore le singulier Freddy Moliger qui débarque dans la vie de Malinka et de sa servante de mère.

"- Et qu'est-ce qu'il y a de si effrayant, dehors ? demanda-t-elle de sa voix artificiellement badine, railleuse, puis regrettant aussitôt cette question qui pouvait donner forme et contour à ce qui ne devait pas se permettre d'exister."

Dans la dernière partie du roman, on bascule dans le fantastique et la métamorphose. Difficile de savoir pourquoi un choix si tranché de la part de la romancière, mais si l'on n'est pas rebuté par le genre, NDiaye nous éblouit une nouvelle fois. Après "Trois femmes puissantes", son écriture demeure envoûtante, prolixe et sertie de mots de vocabulaire adaptés, au service d'une histoire intrigante, fantaisiste mais ancrée dans le monde moderne et ses rapports de force sous-jacents.

À découvrir.

R.P.



30/05/2022
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