Contre-critique

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"Le monde selon garp" de J. Irving

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"Le monde selon Garp" de John Irving.

 

"La verrai-je jamais porter autre chose que ce survêtement gris ? se demandait-il. Comme Garp le nota par la suite, ce fut en essayant d'imaginer le corps d'Helen Holm qu'il découvrit pour la première fois qu'il était doué d'imagination."

Ce roman, long et dense mais jamais ennuyeux, pourrait s'apparenter à une saga tant il s'étend sur une longue période d'existences. Tout commence avec la mère de Garp, l'infirmière Jenny Fields, qui, malgré sa révulsion pour les hommes, trouve en la présence du sergent technicien Garp - un ancien mitrailleur de bombardier désormais blessé - un potentiel père pour son futur enfant. De leur étrange relation, au sein d'une atmosphère cynique et absurde, naît S.T. Garp, le héros du roman.

On sent que l'auteur, au départ du récit, a hésité entre Jenny Fields et Garp, puis Garp est finalement devenu le personnage central du roman. Il est à noter qu'à partir du moment où celui-ci tente de devenir écrivain - disons au premier tiers du livre - le récit devient réellement passionnant. John Irving narre une histoire à plusieurs facettes qui touche à plusieurs thèmes importants. On y trouve même une nouvelle de l'auteur, à l'intérieur même du récit, écrite de la main de Garp.

"Cette conviction que Franz Grillparzer était un "exécrable" écrivain sembla à Garp, et pour la première fois, la véritable certitude qu'il avait en lui l'étoffe d'un artiste - même s'il n'avait encore rien écrit. Peut-être tout écrivain doit-il inévitablement en passer par cette phase où il attaque quelque autre écrivain comme indigne d'écrire."

Au-delà des peurs de Jenny Fields pour son fils et aussi de ses peurs envers les hommes, on découvre les peurs que ressent Garp concernant la vie de ses enfants. D'ailleurs les peurs sont habilement matérialisées par le crapaud du ressac (le fameux "under toad") qui hante le roman. L'histoire s'attarde donc sur les craintes - éprouvées par l'auteur lui-même qui le confesse dans sa préface - mais aussi sur le féminisme, l'adultère ou le deuil, qui sont tour à tour au cœur du récit.

"Un gros ruisseau en crue traversait le campus, et Garp en profita pour se débarrasser des deux préservatifs qui lui restaient encore, en les jetant subrepticement par la vitre baissée, sans arrêter la voiture - s'imaginant qu'un flic vigilant l'avait peut-être repéré et dévalait déjà le talus pour récupérer la pièce à conviction"

Le roman égrène l'idée de Garp - et sans doute aussi celle d'Irving lui-même - selon laquelle la réalité au sein de l'écriture n'a pas sa place. Ce qui compte pour lui, et avant tout, c'est que l'histoire paraisse réelle, et non qu'elle soit simplement vraie. L'art, pour Garp, approfondit la réalité et rend cette dernière plus sublime ou plus douloureuse, selon la volonté de l'auteur, qui ne doit pas se cantonner à relater un fait vécu. De cette idée, l'écrivain doit rendre les choses extraordinaires, et non pas vivre des choses extraordinaires pour ensuite pouvoir les raconter.

En définitive, le talent de conteur de John Irving est indéniable. On passe de l'opposition homme-femme au deuil, de l'adultère à l'accident tragique, et l'on vibre parfois au cours de ces montagnes russes littéraires.

À recommander à tous ceux qui cherchent un divertissement soigné, intelligent et peu banal !

R.P.



20/10/2021
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