Contre-critique

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"Madame Bovary" de G. Flaubert

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"Madame Bovary" de Gustave Flaubert.

 

"Quoiqu'elle fût laide, sèche comme un cotret, et bourgeonnée comme un printemps, certes Mme Dubuc ne manquait pas de partis à choisir. Pour arriver à ses fins, la mère Bovary fut obligée de les évincer tous, et elle déjoua même fort habilement les intrigues d'un charcutier qui était soutenu par les prêtres."

Tout commence avec les études de Charles Bovary, un garçon de 15 ans qui se voit moqué en classe.

C'est avec une franche modernité que Flaubert entame ce roman ; point de descriptions soutenues pour établir le contexte, ou le lieu, dans lequel l'action se déroule. À l'inverse des romans de l'époque, comme le "père Goriot" par exemple, les très longues descriptions ne se placent pas à l'ouverture mais bien plus tard dans le récit, entre deux moments d'action.

Autre fait notable, l'auteur semble, au tout départ, s'inclure dans le texte, comme s'il faisait appel à ses souvenirs, car il emploie le "nous" ("Nous avions l'habitude, en entrant en classe..."), alors que son récit ne contient pas du tout de "je". D'ailleurs, l'action se passe à Rouen, là où est né Flaubert.

"La rivière, qui fait de ce quartier de Rouen comme une ignoble petite Venise, coulait en bas, sous lui, jaune, violette ou bleue entre ses ponts et ses grilles."

Dans les cinquante premières pages, on suit le mariage de Charles Bovary avec Dubuc, puis son veuvage soudain, avant son second mariage avec la fille Rouault, Emma de son prénom, celle qui donne son titre au roman.

"La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient, dans leur costume ordinaire, sans exciter d'émotion, de rire ou de rêverie."

Très vite, on comprend qu'Emma Bovary s'ennuie ferme avec son médecin, elle se lasse de tout et, dans la deuxième partie, elle va rencontre Léon, celui avec qui elle développe des affinités. Alors que le couple Bovary vient de déménager de Tostes à Yonville, on sent d'emblée que la rencontre de Léon sera, pour elle, une nouvelle opportunité de divertissement. Leur première discussion est un régal de perspicacité, et l'on comprend pourquoi "Madame Bovary" est lu depuis tant d'années. Sa modernité, pour l'époque et encore aujourd'hui, est considérable. Il nous faut imaginer le choc, pour les lecteurs, de ressentir le malêtre et le désir de cette femme, étudiée si étroitement. Le choc devait être considérable à sa sortie. D'autant que c'était un homme qui livrait une étude psychologique aussi fine, allant à l'encontre des bonnes moeurs. On peut dire que Flaubert est parvenue à entrer dans la peau d'une femme, sans la dénaturer, ce qui n'est pas aisé.

"et jusqu'à ses souliers de satin, dont la semelle s'était jaunie à la cire glissante du parquet. Son coeur était comme eux : au frottement de la richesse, il s'était placé dessus quelque chose qui ne s'effacerait pas."

On pourrait aussi lire entre les lignes un exécrable portrait de femme, car Emma se lasse très rapidement de son mari, alors que lui est fou amoureux d'elle, de plus, elle est une femme qui ne sait pas aimer son propre enfant (voir le chapitre VI où elle le blesse), une femme enfin qui, en dépit de l'instinct maternel, développe un égoïsme considérable.

Quant au personnage de Rodolphe, ce trentenaire dragueur invétéré, il est d'une modernité ébouriffante. Sa manière d'exprimer ses intentions secrètes, concernant Emma, sont odieuses et admirables à la fois. Ses calculs pour la séduire sont répugnants et pourtant si répandus chez la gente masculine, que l'on peine à croire que cette façon d'opérer soit intemporelle.

"Sa femme avait été folle de lui autrefois; elle l'avait aimé avec mille servilités qui l'avaient détaché d'elle encore davantage. Enjouée jadis, expansive et toute aimante, elle était, en vieillissant, devenue (à la façon d'un vin éventé qui se tourne en vinaigre) d'humeur difficile, piaillarde, nerveuse."

Sur l'ensemble du roman, l'écriture de Flaubert est formidable et l'on voudrait en extraire des citations à chaque page. C'est enlevé, passionnant et culte par endroit. On y décèle de la cruauté, du romantisme, parfois aussi de l'ordinaire, mais les sentiments des personnages sont justes et troublants.

Doté d'une fin tragique, il est difficile de dire, même si le sujet n'attire pas au premier abord, que ce roman n'est pas un classique incontournable !

R.P.

 



19/09/2023
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