Contre-critique

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"Pour la peau" de E. Richard.

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"Pour la peau" d'Emmanuelle Richard.

 

"Je décline poliment les invitations.

Quelques hommes réagissent violemment à mon refus de discuter en ligne.

Je découvre que derrière la courtoisie de surface se cachent immédiatement l'agressivité et la colère, l'amertume, la rancoeur - plus rarement le désespoir -, tous corollaires de la frustration."

Très disparate au départ, l'histoire se met peu à peu en place et la romancière parvient à livrer des réflexions très intéressantes, après plusieurs dizaines de pages, sur les rencontres amoureuses, la face cachée des sites de rencontres, et l'impalpable attraction physique entre les individus.

Au centre du récit, une femme aux cheveux courts, écrivaine en devenir et caissière dans un magasin, qui nous raconte un peu ses expériences passées avec les hommes, mais surtout, sa rencontre avec E., un homme plus âgé, un homme de 48 ans au physique et à l'attitude adolescente.

L'héroïne du livre, qui se confond indubitablement avec la romancière, devient peu à peu touchante et sa relation avec E. prend de l'épaisseur et de la véracité au fil des pages. La romancière s'attarde sur certains détails qui ancrent le récit dans le réel et nous permettent de l'apprécier. On croirait une confession sincère.

"E. est tombé de scooter et E. est en train d'arracher minutieusement l'une de ces croûtes. Je lui dis "Arrête, arrête c'est dégueulasse" et E. me regarde avec une lueur étrange dans les yeux, E. ne s'interrompt surtout pas, E. achève de tirer sur la croûte, qui cède enfin, chute, copeau carmin tournoyant pas cicatrisé."

On le répète, le démarrage est laborieux mais la suite devient prenante et édifiante, malgré un style hétéroclite. Il faut avouer que les courts paragraphes qui fourmillent et élaborent le roman sont inégaux. De plus, Emmanuelle Richard met parfois des phrases entre crochets, ou bien elle glisse des "slash" de manière sporadique et peu justifiable d'un point de vue littéraire, comme lorsqu'elle parle constamment de E. à la troisième personne du singulier puis, subitement, lui dit "tu" le temps de certains paragraphes. On note également quelques fautes d'orthographe, comme dans l'extrait ci-dessus, mais cela n'impacte pas le récit.

La relation qui se joue entre E. et l'héroïne, qui n'a que 27 ans, se densifie au cours du livre et justifie que l'écrivaine l'expose, tout en méritant qu'on s'y intéresse.

"À l'époque, sincèrement, je ne comprenais pas leur mécontentement quand il ne se passait rien. Les garçons repartaient fâchés et incrédules, je m'endormais déçue, navrée de la difficile accessibilité de la chaleur humaine. Il m'est arrivé de coucher par politesse, par fatigue ou lassitude de répéter non, ou par un sentiment de dette face à un verre payé."

L'héroïne sort d'une relation de six années passées avec S. mais l'on ne saura pas grand-chose de l'ancien compagnon (D'ailleurs, pourquoi la quatrième de couverture nous parle de C., puisqu'il s'agit de S. ?). Les choses se centrent essentiellement sur E. Il s'agit de leur amour de quelques mois, surtout durant l'été, un amour en dents de scie, avec un homme qu'elle connaît peu, comme un amour de vacances et qui finira mal.

C'est écrit avec les tripes alors, forcément, ça devient touchant. On a de l'empathie pour cette femme bien qu'elle se laisse facilement prendre au piège d'une simple relation d'été, un peu comme une adolescente, alors que le lecteur sent venir de loin que leur relation ne fonctionnera pas. Malgré tout, l'amour ne se commande pas, et ce sera le coup dur pour Emma qui aura du mal à s'en remettre.

On apprécie certaines tournures poétiques, des parcelles de vie vécues, des instants dérobés et retranscrits sur papier pour le seul plaisir du lecteur.

Un livre touchant et viscéral, à découvrir.

R.P.



06/03/2024
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