Contre-critique

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"Shibumi" de Trevanian

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"Shibumi" de Trevanian.

 

 "Pourtant, l'extrême dissemblance de personnalité entre la mère et le fils apparaît dans la précision et l'intensité du regard, dans l'atténuation et le cristallisation de ces yeux de sinople. Le regard de la mère était enchanteur, celui du fils est froid. Là où la première vous séduisait, le second vous congédie."

Ce qui surprend d'emblée, c'est ce premier chapitre, très cinématographique, et son double visionnage de l'incident à l'aéroport, regardé une première fois en avant, puis en arrière. Aussitôt après, le deuxième chapitre change de point de vue et opère un basculement qui nous permet de réaliser que les personnages centraux sont ailleurs.

L'écriture est habile, parfois même très finement ciselée, et elle se découvre au fil des chapitres. On ne s'en rend pas compte au premier abord, mais plus l'on plonge dans la lecture de "Shibumi", plus l'on creuse et apprécie son contenu. Comme si ce démarrage en forme de polar intriguant devenait peu à peu de la littérature de qualité.

On regrette cependant que Trevanian s'appesantisse un peu trop dans sa narration, lors des chapitres intitulés Japon par exemple, et qu'il rende certains passages un peu lassant. Tout particulièrement ceux consacrés à la jeunesse de son héros, Nicholaï Hel. Heureusement l'humour revient lors de la spéléologie, grâce au personnage basque nommé Le Cagot qui rehausse la lecture.

"... Le Cagot avait été élevé en France, et le concept de fair-play est totalement étranger à la mentalité des Français - un peuple qui a produit des générations d'aristocrates, mais pas un seul gentleman ; une culture où le droit remplace la justice ; une langue où l'unique mot pour désigner le fair-play est emprunté à l'anglais."

Si vous lisez ce roman en pensant découvrir un intense roman d'espionnage, vous risquez fort d'être déçu. D'autant que la quatrième de couverture nous dévoile l'intégralité de l'histoire, à savoir plus de quatre cent pages sur six cents. De plus, Trevanian passe d'un sujet à l'autre et s'épanche dans des domaines particuliers sans faire avancer l'intrigue principale. Et si vous espérez une intrigue hors pair, vous serez également déçus. Il est par exemple assez évident que le père Xavier, qui déteste Hel, soit un indic et peu probable en réalité que Diamond se déplace lui-même jusque dans la demeure basque de Hel.

En revanche, si vous lisez ce livre comme une oeuvre de littérature à part entière, hétéroclite et fourmillante, qui aborde divers thèmes comme le climat et la mentalité basques ou le jeu de Go, qui décrit la recherche du shibumi, critique les Français et les Américains et met en avant les concubines, alors là, vous serez conquis, car ce roman est aussi dense que précis, provocant qu'intelligent, et contient autant de moments bavards que d'instants de grâce.

"C'est une organisation qui comprend les principales compagnies pétrolières et les producteurs d'énergie. Elle est liée aux Arabes depuis toujours et manipule ces heureux crétins comme des marionnettes dans ses combinaisons de pénurie volontaire et de superprofits. La Mother Company est un adversaire redoutable, car on ne peut exercer sur elle aucune pression gouvernementale."

La fin, à partir de la sixième partie qui concerne la réhabilitation de Hel, n'a pas la force ni l'habileté escompté, et elle paraît même un peu surannée. Dommage pour un roman de cette qualité, de s'amenuiser ainsi dans les dernières pages.

En définitive, la forme du roman, qui est littéraire et piquante, est très réussie. On en apprécie les descriptions et les atmosphères, les analyses psychologiques de ses personnages ainsi que les critiques acerbes envers les nations. Par contre, c'est le fond qui pèche. La partie espionnage est bien trop légère, ses enjeux sont relégués au second plan, voire pire, et la résolution finale est largement surfaite et presque factice.

Quant à la quatrième de couverture, j'y reviens car c'est un non-sens désolant. Le roman y est vendu comme une histoire de traque et d'affrontement final, or ce n'est absolument pas le cas, ce n'est même pas une histoire avec de l'action, puisque tout se base sur les rencontres et les échanges entre protagonistes.

Au final, on passe un bon moment mais on a envie de lire autre chose de cet auteur, quelque chose qui ne soit pas artificiellement caché dans un écrin d'espionnage !

R.P.



31/08/2022
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