"À la table des hommes" de S. Germain
"À la table des hommes" de Sylvie Germain.
"Le monde leur est à la fois opaque et évident, ils ne le réfléchissent pas, jamais ils ne s'étonnent devant lui, ils se tiennent simplement, totalement, en son sein. L'espace alentour, aussi beau soit-il par endroits, ne fait pas pour eux paysage, ils ne le contemplent pas, ils posent sur lui un regard lisse, luisant de candeur."
Si l'on ne sait pas de quoi il retourne, le départ du roman crée la surprise et s'avère fascinant. L'auteur nous trompe en le démarrant au travers d'un point de vue anthropologique, et en ne dévoilant pas immédiatement la nature de son sujet. On comprendra pourquoi, après quelques dizaines de pages, lorsque notre héros devient humain.
Vous l'aurez compris, l'emploie du terme "conte" n'est pas usurpé dans ce roman poétique et engagé. L'auteur possède une indéniable qualité d'écriture et maîtrise la beauté du langage. Cependant l'ensemble demeure trop général et l'on ne suit pas avec intérêt les mésaventures de notre héros Abel. Son récit est plutôt survolé, mis à part quelques moments clefs, et l'on a du mal à s'attacher aux personnages ou à vibrer avec eux. On reste à l'écart du récit tandis que certains passages moralisants ne produisent pas l'effet escompté.
"... les admirables élans d'inspiration, d'ingéniosité et de créativité des hommes rivalisent avec leurs emportements de haine, de cruauté, leur fureur de destruction. Ils érigent des splendeurs, puis les saccagent, ils donnent la vie, en prennent un soi extrême, soudain la foulent aux pieds, retranchent des populations en masse..."
La fin bascule dans une violence inattendue et offre un parallèle immédiat avec l'actualité et les attentats, ce qui est très efficace. Cependant le style détaillé de l'attaque, et l'exécution des blogueurs, collent mal avec le reste de l'histoire et surtout avec ce qui précède. Le lecteur éprouvera des difficultés à suivre l'enchaînement logique des différentes étapes du récit, et se demandera pourquoi commencer avec l'onirisme d'une fable - et son animal qui devient humain - pour finir sur un fait-divers tragique et ancré dans la réalité. Cela rend l'ensemble du roman décousu. Et finalement, bien que l'auteur possède d'indéniables qualités, son récit lui, qui aurait pu devenir mémorable, se contente d'être vaguement divertissant, à la fois maladroitement percutant et plutôt fade, contrairement à l'impression qu'il laisse ; dommage.
R.P.
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