Contre-critique

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"Le baiser au lépreux" de F. Mauriac.

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"Le baiser au lépreux" de François Mauriac.

 

"Il regardait sa face que le soleil brûlait sans qu'elle en parût moins jaune, répétait les mots de Nietzsche, se pénétrait de leur sens, les entendait gronder en lui, comme un grand vent d'octobre. Un instant, il crut voir à ses pieds, pareille à un chêne déraciné, sa Foi. Sa Foi n'était-elle pas là, gisante, dans ce torride jour ?"

Livre court, absorbant et fiévreux, "Le baiser..." est un choc. L'histoire de Jean Péloueyre est touchante et contagieuse. De son dégoût de lui-même, cet être particulier, esseulé, qu'on dit bizarre, se voit miraculeusement voué à Noémi d'Artiailh, qu'il admirait en secret. Mais ce mariage arrangé, imposé par le curé, avec cette fille de 17 ans (lui a la vingtaine), saura-t-il le réconforter ? Cette union deviendra-t-elle son salut ou sa perte ?

"Mais Jean secoue la tête et semble, de ses mains tendues, se défendre contre le mirage. Une jeune fille dans ses bras, consentante ? Noémi de la grand-messe, Noémi dont jamais il ne put regarder en face les yeux pareils à des fleurs noires ?"

Notre héros a du mal à se réjouir, quand son père lui annonce la nouvelle, car il craint de la dégoûter. Mais Noémi n'a pas rechigné à ce projet. Elle veut satisfaire l'implacable volonté du curé.

"Quelquefois, Noémi, avançant une main vers ce visage moins odieux puisqu'elle ne le voyait plus, y sentait de chaudes larmes. Alors, pleine de remords et de pitié, comme dans l'amphithéâtre une vierge chrétienne d'un seul élan se jetait vers la bête, les yeux fermés, les lèvres serrées, elle étreignait ce malheureux."

L'écriture est efficace, cinglante de par ses tournures et ses phrases courtes, mais aussi poétique et imagée au fil des lignes. Le style est intelligent et direct dans son expansion. L'auteur n'accorde que peu de place aux tergiversations et au superflu, il parvient à bousculer le lecteur tout en restant prude, ce qui s'avère un tour de force.

"Hors un pèlerinage à Lourdes et ses nuits d'amour à Arcachon, il n'avait jamais quitté son trou. S'enfoncer tout seul dans la cohue de Paris ! C'était pour lui sombrer à jamais au fond d'un océan humain plus redoutable que l'Atlantique. Mais trop de coeurs le poussaient vers le gouffre."

Concernant le lépreux, celui-ci se torture et nous émeut. Il ne profite pas, lui, il souffre en silence, s'efface et perçoit trop nettement le mal qu'il inflige, là ou d'autres n'auraient guère de scrupules. Jean se révèle un personnage complexe, émouvant et fragile. Il incarne une figure précieuse, noire comme les ténèbres, et qui hantera longtemps le lecteur. Noémi n'est pas en reste, dans sa dignité et sa volonté de correspondre au modèle qu'elle s'impose, malgré la venue du jeune médecin.

Un classique incontournable, à lire !

R.P.



02/08/2025
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