Contre-critique

"American airlines" de Thierry Brun.

"Cartes en main, le gamin s'évertue à époustoufler la demoiselle. Autant qu'il peut, du moins, car son jeu est un désespoir de mimiques et de gestes jetés en pâture aux pros du poker, qui s'envoient des oeillades entendues autour du tapis."

L'univers du jeu mêlé à celui de tueur est habilement mené dans ce court roman efficace. L'écriture de l'auteur est intéressante car elle est concise, bourrée d'ellipses et comme extrudée de redites. À titre d'exemple, les noms de personnages importants n'apparaissent qu'une ou deux fois seulement, et c'est au lecteur de se souvenir de qui il s'agit pour dénouer les enjeux ; heureusement, il n'y a que peu de personnages. On sent que l'auteur diffuse habilement ses informations, au compte-goutte, et qu'il sait précisément où il va tandis que le lecteur se laisse embarquer et comprend avec un léger temps de retard ce qui se jouait l'instant d'avant.

C'est savoureux, ciselé et intelligent, même si cinq années, chez Brun, paraissent dix ou quinze, mais on chipote. Le roman se lit très rapidement. Il ne nous prend pas pour un lecteur attardé et c'est hautement appréciable. Il contient de beaux moments de suspens et de tension, donc on est ravi.

"À moins de vingt mètres, Kirby distingue une masse. Il s'en approche et voit qu'il a affaire à un SUV Peugeot, cul dans le fossé, une roue avant désaxé, le capot comme arraché par une main de géant, le bloc-moteur enfoncé. Le pare-brise et une femme, la brune du Grand Hôtel, sont empalés sur une branche qui s'est brisée au moment de l'impact."

Le dernier tiers du roman, étrangement, évolue dans un autre environnement et semble presque changer de registre, ce qui est assez déroutant pour le lecteur. De plus, la fin s'enlise un peu et ne nous offre pas un final flamboyant et vraiment mémorable. On reste un peu sur notre faim, dommage.

Quelques scènes exceptionnelles pour un récit finalement ordinaire. Voici tout de même un auteur à suivre.

R.P.