Contre-critique

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"Tortilla Flat" de J. Steinbeck

 

 

"Tortilla Flat" de John Steinbeck.

 

"Ils se tenaient tous trois devant la maison en flammes et fixaient la porte, ouverte sur un rideau de feu. Ils pouvaient voir, sur la table, la bouteille contenant encore deux bons doigts de vin.

Pilon pressentit le dessein héroïque et sauvage de Jesus-Maria.

- N'y vas pas ! hurla-t-il..."

Avec des protagonistes fortement envoûtés par l'alcool, ce premier roman à succès de Steinbeck relate les aventures de paisanos vivant dans le quartier de Tortille Flat, à Monterey, une ville côtière de Californie. Et à leur tête, on retrouve Danny, homme jusqu'ici habitué à dormir dans les bois, mais qui hérite à son retour de guerre de deux maisons. Il va alors commencer à y loger Pilon et chacun profitera habilement de l'autre.

"Le Portagee aimait la prison de Monterey. C'était un lieu où on rencontrait des gens. S'il séjournait assez longtemps, il était quasi sûr de voir tous ses amis entrer et sortir. Le temps passait très vite. Il fut triste au moment de s'en aller, mais il se consola en pensant que c'était très facile de revenir."

Steinbeck décrit à merveille la vie de ce peuple à la fois espagnol, indien et mexicain. Il va même réussir à transformer le quotidien de Danny et de ses amis en une sorte de périple héroïque et mystique, et va faire de leur histoire la métaphore d'une figure divine, un état de grâce de l'humanité.

"- Tu n'es qu'un cochon et tu n'est pas fait pour vivre avec les hommes, affirma Pilon avec une douceur amère douceur en se tournant vers Big Joe. Toi qui t'es emparé de la couverture de Danny, tu mériterais d'être mis dans l'étable à porcs et nourri d'épluchures de pommes de terre."

Malgré l'amitié véritable qui finira par les unir, Danny et ses amis traverseront de rudes épreuves et n'auront de cesse de se trahir les uns les autres. Leur soif intarissable tout d'abord, puis leurs mauvaises habitudes de hors-la-loi les mèneront souvent à la dispute et à l'affrontement.

"Il sortit les boulons du seau et les mit dans un sac. Après quoi, empruntant la brouette du Pirate et le Pirate pour la pousser, il porta sa trouvaille à la Western Supply Company et vendit le cuivre pour trois dollars."

Ce qui frappe à la lecture dans ce roman c'est son humour. Contrairement à d'autres œuvres de Steinbeck, telles "Des souris et des hommes" ou "La perle", "Tortilla Flat" est doté d'une écriture franchement humoristique qui est très réussie. On jubile devant la tournure des évènements et le talent de conteur de l'auteur. Pour autant, Steinbeck ne se dépare pas de ce qui fera son succès d'écrivain : l'intérêt qu'il porte aux laissés-pour-compte, ceux qui peinent pour survivre ; ivrognes, bagarreurs ou misèreux.

"...lui permettait de voir les jambes d'un grand nombre de filles. On ne doit pas supposer qu'il y ait la moindre vulgarité dans cet intérêt. On pourrait aussi bien critiquer un amateur de galeries d'art ou de concerts. Jesus-Maria aimait regarder les jambes des filles."

Gorgé de passion pour, les femmes, la boisson, l'amitié et la religion, "Tortilla Flat" est un hymne à la vie, une sorte de mise en pratique altérée de l'hédonisme. Chacun y recherche égoistement son plaisir puis, au fil des pages, se tourne vers autrui et tente de lui venir en aide. Ce roman illustre parfaitement la vie, pleine de déceptions et de joies et offre au lecteur un bel exemple de générosité.

"C'était un jeu exaltant : voler sans en avoir les stigmates du vol, être criminel par altruisme, quoi de plus satisfaisant ?"

Steinbeck dépeint une galerie de personnages profondément attachants - que ce soit le benêt Big Joe, le vagabond Pirate et ses inséparables chiens, ou bien le vendeur de gallons de vin Torrelli ou la charmeuse sweets Ramirez - et nous suivons leurs mésaventures avec une relative implication. Lorsque le groupe s'unit autour d'un objectif commun, on leur souhaite de réussir ce qu'il entreprennent. Et lorsque l'un d'eux subit un préjudice ou va à l'encontre du groupe, c'est tout le monde y compris nous, lecteurs, qui est touché. Derrière le côté comique il y a souvent un pincement au cœur qui se cache. Et c'est là tout le charme de ce roman. De l'anodin, on passe au tragique.

Sans se prendre au sérieux, Steinbeck nous offre une leçon d'altruisme, à lire absolument.

R.P.



22/06/2012
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