Contre-critique

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"La Bête aveugle" de R. Edogawa

 

"La Bête aveugle" de Ranpo Edogawa.

 

"Les femmes, cuisses resserrées, prenaient des airs effarouchés ou, sans aucune retenue, se cambraient, adoptaient des poses lascives, et tous ces corps au galbe splendide formaient un groupe superbe et magnifique."

Tout commence avec Mizuki Ranko, une danseuse de music-hall vedette qui va peu à peu se faire piéger par un étrange et oppressant admirateur aveugle. Ce dernier va refermer tranquillement les mailles de son filet sur sa proie, jusqu'à ce que les choses prennent une tournure inattendue.

"La démangeaison se changea peu à peu en une douleur perçante. La jeune femme en ressentit bientôt la brûlure sur tout le corps. Elle pâlit, fut inondée de sueur. Elle fit la grimace, et l'on put croire qu'elle allait se mettre à pleurer."

Ranko ne sera pas le seul protagoniste féminin de l'histoire, et le véritable personnage principal, bien que l'auteur ne nous fasse que peu partager son point de vue, sera un aveugle. Un être complexe et pervers, en quète de mises en scène pour jeux macabres.

"Tous ces visages étaient béats. Il lui semblait être devenue une reine éblouissante, et les spectateurs de vulgaires sujets victimes d'un amour sans espoir, ou plutôt des esclaves insignifiants."

Les jeux de piste, qui ne sont pas très élaborés et qui peuvent paraître répétitifs, sont quelquefois surprenants et s'avèrent réjouissants de machiavélisme. "La Bête aveugle" distille un humour noir propre à l'auteur, et ce dernier navigue entre farce gore, angoisse et érotisme.

"Il retira sa main avec un rire déplaisant, mais ses doigts arachnéens ne furent pas longs à reprendre la direction de sa poitrine."

Edogawa célèbre la beauté féminine à l'aide d'un artiste aveugle et fou qui a tôt fait d'annihiler la vie qui palpite dans ses sujets de convoitise. Au nom de l'art, il sacrifie et se repaît des massacres qu'il engendre, et cela le rapproche du mythe E.Báthory, sauf que cette dernière perpétrait des crimes pour sa jeunesse. Dans le plaisir que les amants se donnent jusqu'à la mort en vivant en marge du monde extérieur, on peut aussi faire une référence au "Ai no corrida" du réalisateur Nagisa Oshima.

"- Bon, j'ai compris que tu refusais absolument d'accéder à mes désirs. Mais alors, je ferai la même chose de mon côté. Tu pourras me supplier, pleurer, crier autant que tu voudras, je ne te laisserai jamais..."

Ce court roman, écrit d'une manière simple, est donc plus profond qu'il n'y parait au premier abord, car il soulève de nombreux thèmes, comme par exemple : la difficulté du handicap, la condition de l'artiste ou encore l'obsession de la beauté.

"Du sang jaillit, et le corps de la jeune femme se mit à frétiller comme celui d'un poisson pris dans un filet."

Si vous aimez la poésie morbide et l'écrivain E.Allan Poe, cette "Bête aveugle" aura de quoi vous ravir. Une œuvre particulière et efficace, qui correspond totalement à son auteur et à l'univers érotico-sinistre qu'il développe.

R.P.



23/08/2012
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