Contre-critique

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"La Fabrique des lendemains" de R. Larson.

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"La Fabrique des lendemains" de Rich Larson.

 

"Mars découpe en dés son pouce puis son index, et laisse choir les morceaux sanguinolents. Le chien errant se jette sur chacun d'eux, et se met à gémir quand l'homme s'arrête à la phalange gris-blanc de son majeur."

Tout commence avec "Indolore", une nouvelle qui met en scène un certain Mars, un homme incapable de ressentir la douleur et qui peut même se régénérer. L'histoire se passe en Afrique, avec ses chiens faméliques, sa poussière et ses hautes mosquées. C'est à la fois original et efficace, et suffisamment bien ficelé pour qu'on ait envie de la lire une deuxième fois.

Pourtant, derrière la magnifique couverture de Pascal Blanché, se cache 28 nouvelles largement en dents de scie. Alors soit les nouvelles ont été choisies avec les pieds (ce qui est curieux venant d'une prétendue sélection parmi une liste exhaustive), soit l'auteur n'a pas le talent qu'on lui prétend. Quoi qu'il en soit, il aurait mieux valu écourter le recueil. À titre d'exemple, "Circuits" n'a d'intérêt que parce que le personnage central est un train, et "Chute de données" n'en a aucun sinon celui d'avoir possiblement répondu à un concours. Ce qui constitue un trio de tête parfaitement bancal. De plus, on peut légitimement se demander quel est l'intérêt de lire les nouvelles dans l'ordre établi par Herzfeld et Martel ? Il faudrait d'ailleurs qu'ils soient aptes à le justifier, cet ordre, car leur choix ne peut que donner envie au lecteur de refermer le livre après une entame laborieuse.

"À la place, il scrute le large ou émet des bruits animaux étouffés pendant que le lubrifiant de ses photorécepteurs pivotants s'écoule le long de sa tête et goutte dans le sable.

Vient ensuite "Toutes ces merdes de robot" qui a le mérite de considérer le point de vue d'un robot par rapport à celui d'un humain. Même si la nouvelle nécessite un temps d'adaptation, pour comprendre de quoi il est question, lorsque l'auteur utilise des termes tels que photorécepteurs ou Guetteuse-dans-le-ciel par exemple, on en apprécie le décalage. Quant à l'humanité que possède le personnage central, nommé Sculpteur Sept, il est fort bien amené. Pourtant, même si l'originalité est incontestable, on n'est ni ému ni touché à la lecture. D'ailleurs, pour la plupart, les nouvelles sont trop courtes pour qu'on ait le temps de vraiment s'attacher aux protagonistes. Ce qui est le cas de "Carnivores", qui aurait pu emporter le lecteur mais qui délivre les informations au compte-gouttes et lorsqu'on a compris l'enjeu de la nouvelle, elle se clôture. Tout comme "L'usine à sommeil" qu'on espérait émouvante mais qui ne l'est pas. Sans compter qu'elle est relativement prévisible. Cela nous donne tout de même envie de découvrir l'auteur à travers un roman, pour savoir de quoi il est vraiment capable sur du long terme, car là, il ne nous livre que des bribes d'histoire.

Le recueil est vraiment tous azimuts. Avec "Un rhume de tête" par exemple, on bascule dans un humour noir proche de l'absurde, très loin d'une quelconque robotique. Dans "Surenchère", on est presque dans un récit réel et actuel, ou le comique se bouscule au dramatique. Tous comme dans "La Digue" qui aborde le mensonge dans le couple. Les ruptures sont d'ailleurs regroupées, avec "Faire le manège" et "Si ça se trouve...".

Le recueil contient également des sortes d'enquêtes policières, où les protagonistes utilisent d'autres corps ou plongent dans des mondes numériques, comme dans "Une soirée en compagnie de Severyn Grimes", ou l'excellente "De viande, de sel et d'étincelles" qui rappelle la SF de manga, façon "Ghost in the Shell" et qui se démarque des autres par ses péripéties et rebondissements multiples.

"La Brute" est également intéressante, dans un registre cinématographique à la Cronenberg. Tout comme "En cas de désastre sur la Lune", qui rappelle "L’Anomalie" en plus condensée et plus empirique. Ces deux textes, efficaces et faciles d'accès, auraient d'ailleurs mérité d'apparaître en début d'ouvrage au lieu d'être noyés dans la masse.

En définitive le recueil aurait pu être expurgé de la moitié de ses nouvelles et il ne contient pas que de la SF pure, mais, même s'il ne nous donne pas envie de toutes les lire, il aiguise suffisamment notre intérêt pour tenter l'expérience "Ymir", son premier roman traduit en français. Un auteur à suivre donc !

R.P.



26/01/2023
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