Contre-critique

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"La fille-flûte" P. Bacigalupi

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"La fille-flûte et autre fragments de futurs brisés" de Paolo Bacigalupi.

 

 "A New York, l'été est l'un des moments que j'aime le moins. La chaleur s'installe au milieu des immeubles, étouffant tout, et l'air... se fige, carrément. On sent tout. Les matières plastiques qui fondent sur le bitume chaud, les ordures qui brûlent, l'odeur de vieille urine..."

Intitulée "La pompe six", la dernière nouvelle du recueil - et peut-être aussi la meilleure - est intelligente, visionnaire et drôle ! Contrairement à ce que nous avait habitué l'auteur, cette nouvelle est vraiment comique, de par ses situations et ses personnages rocambolesques. On y découvre Travis Alvarez, employé d'une station de collecte des eaux usées dont la pompe numéro six va arrêter de fonctionner. Mais au lieu de prendre la tangente dramatique, et bien qu'elle soit sous-jacente, Bacigalupi explore l'aspect absurde de la situation et le non-sens de l'humanité du vingt-deuxième siècle. Tous les personnages, mis à part le héros, semblent plutôt demeurés - mention spécial à Chee - et leur incapacité désarçonne autant qu'elle fait rire le lecteur. Ce dernier est d'ailleurs immédiatement propulsé dans l'action dès les premières lignes, avec la dispute musclée entre Travis et sa copine avec qui il essaie vainement de procréer. La nouvelle s'avère décomplexée, absurde et affligeante concernant notre futur, et c'est ce qui en fait un texte génial. "La pompe six" contient juste ce qu'il faut de caricature pour permettre au rire de fonctionner, tandis que la soirée au club durant laquelle les protagonistes se défonce à l'Effy (drogue futuriste) devient mémorable. Bacigalupi nous fait pénétrer le délire et vivre à travers le personnage une expérience presque hallucinatoire. On en redemande ! D'autant que derrière le rire se cache un récit apocalyptique.

Avec "L'homme des calories", autre nouvelle réussie, Bacigalupi dévoile l'univers qui fera plus tard son succès dans l'excellent roman "La fille automate", un univers dans lequel les compagnies AgriGen ou PurCal se sont emparés du monopole laissé vacant par la disparition du pétrole, et où les pirates génétiques sont recherchés. On retrouve donc les fameuses piles à ressort ainsi que les mastodontes servant à les remonter. Autre créature commune aux deux récits, les cheshires.Mais "L'homme des calories" n'est absolument pas une redite du roman, il est ici question de Lalji, un indien engagé par Shriram pour rapatrier confidentiellement un pirate génétique. Une entreprise périlleuse et narré sur le mode du suspens avec une certaine efficacité.

"La fille-flûte" qui prête son nom au recueil, s'avère une belle mise en bouche qui dévoile l'univers de Lidia, une fille-flûte qui accepte mal sa condition, vivant avec sa sœur jumelle Nia dans le château de la riche Belari, loin de la ville et de leurs parents. Transformée et condamnée par cette dernière à devenir l'objet de convoitise de l'inquiétant Vernon Weir, Lidia demeure rebelle et admirative de Stephen, de celui qui attentat à la vie de Belari. Prenante et construite en alternant les flashs-back, cette nouvelle donne tout à fait le ton de l'auteur, dévoilant son univers à la fois inquiétante, sensuel et dangereux, dans lequel les personnages - comme souvent - tentent de survivre où trouver une échappatoire.

"-Saviez-vous que, dans le passé, les gens pensaient que nous devrions avoir de la compassion pour toutes les choses sur Terre ? Pas seulement pour nous, mais pour tous les êtres vivants ?"

Dans "Peuple de sable et de poussière", l'humanité a transcendé le règne animal, les hommes ont des techno-charançons dans l'organisme, ce qui leur permet de se nourrir de pierre et d'être immortels avec leurs membres qui repoussent. La découverte d'un ancien organisme vivant, d'un animal, va troubler le trio formé par Lisa, Jaak et Chen. Une des plus anciennes nouvelles écrites par Bacigalupi, pas exceptionnelle, mais déjà marquée par un univers singulier, qui explore une possibilité de futur, sans pour autant devenir moralisateur ou manichéen.

Dans "Le Pasho", les Jai sont en guerre contre Keli et les Pasho qui y vivent. Et lorsque Raphel, un ancien Jai devenu Pasho cherche à établir la connaissance pour les deux camps, il se heurtera aux convictions et à la haine de son grand-père. Un récit complexe, intelligent, et pourtant mineur au sein du recueil, tout comme le précédent.

"À peine entré, je suis assailli par une puanteur familière, effluves de corps crasseux, de restes de nourriture et de merde. Les lumières du croiseur scintillent sous la pluie et traversent les stores pour illuminer la scène de crime d'un feu stroboscopique rouge et bleu."

Ainsi commence "Groupe d'intervention", une nouvelle à ne pas manquer, très cinématographique, une sorte de polar futuriste poignant où la régé permet de rester jeune éternellement tout en étant contraceptive, et où enfanter est devenu pour les femmes un rituel de torture rescapé du 21è siècle et totalement prohibé. Mais la reproduction perdure et le héros, qui fait partie de la brigade d'intervention, est là pour mettre un terme aux éventuels descendants. Une nouvelle forte, presque choquante, et qui donne à réfléchir, une des meilleures nouvelles du recueil.

Autre nouvelle à l'ambiance particulièrement réussie, pluvieuse, inquiétante et futuriste, "Du dharma plein les poches", où l'histoire d'un jeune garçon sans le sou qui mendie et vole en traînant dans les rues de Chengdu. Jusqu'au moment où il tombe sur un homme de Hunam qui lui confie un mystérieux datacube bleu. Dès lors les ennuis vont s'enchaîner...

"Le Yellow card" illustre le parcours du vieillard Tranh, un Yellow card qui a fui la Malaisie perdant son poste au sein d'une multinationale. On retrouve ainsi le Bangkok de "La Fille Automate", avec sa technologie et ses chemises blanches intransigeantes. Une nouvelle efficace et d'une noirceur surprenante.

En définitive, les nouvelles qui valent vraiment la lecture sont "La pompe six", Groupe d'intervention", "Du dharma plein les poches" et "Le Yellow card", celles qui sont également réussies sont "La fille-flûte" et "L'homme des calories", les autres pouvant être évitées.

Quoi qu'il en soit, si vous ne connaissez pas Paolo Bacigalupi, il vous faut absolument découvrir cet auteur !

R.P.



31/10/2014
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