"La route de Los-Angeles" de J. Fante
"La route de Los-Angeles" de John Fante.
"... puis je suis allé prendre une lame de rasoir dans l'armoire à pharmacie, et avant de réaliser ce que je faisais, je me suis entaillé le bras sous le coude, pas trop profond, pour que le sang jaillisse sans douleur."
Ce premier roman de Fante, mettant en scène pour la première fois Arturo Bandini, est une réussite doublée d'une révélation. Le récit est prenant, bourré de dérision et d'humour, tout en masquant un mal de vivre profond et viscéral qui secoue le lecteur. Les personnages sont charismatiques et racés, et toutes leurs confrontations avec le héros sont percutantes, comme celles avec la soeur d'Arturo, Mona, qui ne cesse de se disputer avec son frère, ou encore celle avec l'oncle Frank, qui le sermonne et lui propose du travail. Le passage d'Arturo à la conserverie de poisson sera mémorable et proche des excès jubilatoires d'un L-F Céline sous certains égards. Nombre de chapitres sont excellents, lyriques et décomplexés, et pleins d'une poésie mordante et désillusionnée. L'intelligence de l'écriture est admirable et s'intensifie au fil des chapitres. Plus on avance dans le roman, plus c'est jouissif pour le lecteur.
"L'hypothèse du paradis est un pur instrument de propagande forgé par les nantis pour duper les pauvres. Je nie l'immortalité de l'âme. C'est la constante délusion d'une humanité aveugle. Je rejette catégoriquement l'hypothèse de Dieu. La religion est l'opium du peuple."
Décadent et d'une grande insolence, ce livre ne plaira pas à tout le monde. Bandini y est un affabulateur, un provocateur qui ment et tourmente son entourage malgré lui, parce qu'il souffre et n'obtient pas ce qu'il désire. N'oublions pas qu'il n'a que 18 ans. Mais quelle maturité par moment ! Arturo est un personnage complexe, imprévisible et attachant. Il se rêve écrivain mais travaille pour un salaire de misère et s'avilit. Il est obsédé par les femmes et les méprise tout à la fois. Il est romantique, naïf et dévergondé. Il torture les crustacés et autres insectes. Il rejette la croyance, s'obstine à l'élévation de l'esprit par la lecture et s'abreuve de Kant, Nietzsche et Spengler. D'ailleurs, un peu comme Spengler, "La route de L-A" fait écho à l'oeuvre romanesque du philosophe ; on y découvre un homme au coeur de la décadence de l'occident, un homme qui n'est pas en phase avec son temps, qui est né trop tard pour vivre de son intellect, comme si seules les basses tâches de la civilisation avaient pris le pas sur la culture. Le parcours de Bandini sera donc semé d'embûches et d'affres grandissantes et grandioses.
"Quand j'ai remarqué combien sa peau était sombre, j'ai brusquement trouvé ma réponse. Je pouvais leur dire ça à tous. Ça les blesserait à chaque fois. Je le savais parce que la même chose m'avait blessé. À l'école primaire, les gamins me blessaient en me traitant de rital et de bouffeur de nouilles."
Si vous ne connaissez pas encore John Fante, ruez-vous sur ce livre. Et si vous connaissez déjà cet auteur, ne passez pas à côté de cette oeuvre posthume, peut-être la meilleure, dans la même veine que le très réussi "Demande à la poussière".
R.P.
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