"Le désert des Tartares" de D. Buzzati
"Le désert des Tartares" de Dino Buzzati.
"Dans ce fort, le formalisme militaire semblait avoir créé un chef-d'œuvre insensé. Des centaines d'hommes pour garder un col par lequel ne passerait personne. S'en aller, s'en aller au plus vite, se disait Giovanni, sortir de cette atmosphère, de ce brumeux mystère."
Giovanni Drogo vient d'être promu officier lieutenant. Pour prendre fonction, il est affecté au fort Bastiani, à la lisière du désert des Tartares. Dès le départ du roman, Drogo s'y rend à cheval et l'on bascule immédiatement dans un univers proche de l'absurde, façon Kafka, Abe ou Abeille. Et dès les premiers chapitres l'on se demande s'il parviendra un jour à ce fort qui semble s'éloigner à son approche. Pourtant Drogo y arrive enfin (et plus rapidement qu'on l'aurait cru). Et c'est le départ d'une prise de fonction des plus étranges, même si Drogo souhaite en premier lieu quitter ce fort austère.
Derrière l'inaction des journées répétitives et d'une menace tartares qui semble vouée à ne jamais arriver, à partir du chapitre XII, les rebondissements s'enchaînent à un rythme soutenu. D'abord une ombre qui bouge, ensuite le soldat Moricaud plein de zèle sous l'œil inquiétant de Tronk, et enfin la rivalité mêlée d'orgueil qui déchire le capitaine Monti et le Lieutenant Augustina, et qui entraînera la perte de l'un d'eux sont des passages où le suspense et le mystère sont accrus. On est véritablement captivé par ces péripéties.
"Des langues de brume se formaient cependant dans la plaine, archipel blafard sur un noir océan. L'une d'elles s'étendit juste au pied de la redoute, cachant l'objet mystérieux. L'air était devenu humide, le manteau de Drogo pendait, flasque et lourd, de ses épaules."
À l'aide de sa plume envoûtante, Buzzati tisse en filigrane un rapport à la mère et à la famille. Avec son personnage central, Drogo, qui vit au départ chez sa mère et qui y retournera en quittant le fort Bastiani, révélant l'épreuve du temps qui passe. Mais la permission sera de courte durée pour Drogo et le retour au fort inévitable. Pourtant, après une vie passée au fort, une vie gaspillée en quelque sorte, c'est un vrai drame qui emportera notre héros, lui qui n'espérait qu'une chose : l'arrivée des Tartares pour défendre le fort.
"...les hommes restent toujours séparés l'un de l'autre, malgré l'affection qu'ils peuvent se porter : il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l'en décharger si légèrement que ce soit ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, même si son amour est grand, et c'est cela qui fait la solitude de la vie."
Réflexion sur la solitude des êtres, sur le rapport au quotidien et sa routine léthargique et hypnotique, ainsi que réflexion sur la mort, "Le Désert des Tartares" est une œuvre saisissante, au rythme calme mais prenant, qui fait entrevoir l'indicible, comme un conte moral sur le sens de la vie ; à lire !
R.P.
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