Contre-critique

Contre-critique

"Le Moine" de M. G. Lewis

9782081255616.jpg
 

"Le Moine" de Matthew Gregory Lewis.

 

 "Il ne remarqua pas que sa vanité était flattée des éloges données à son éloquence et à sa vertu ; qu'il en éprouvait un secret plaisir à penser qu'une femme jeune, et qui paraissait jolie, avait pour lui abandonnée le monde, et sacrifié toute autre passion à celle qu'il avait inspirée."

Dans une langue majestueuse et bien tournée, Lewis nous dresse deux histoires en parallèle. D'abord celle de deux femmes qui viennent assister à la messe et qui rencontrent deux gentilshommes, puis celle du prieur Ambrosio, qui ravit les foules et se targue d'avoir une vie monastique irréprochable alors que la tentation va bientôt apparaître à ses côtés.

Le vocabulaire est riche et varié, les tournures de phrases sont pertinentes, bref, nous sommes dans de la belle littérature, comme souvent dans les romans de ce siècle. L'histoire générale est prenante et certains passages sont pleins de fougue ou de suspense. "Le Moine" est tout sauf froid. Il transpire la passion, le désir latent, le danger prégnant et la duplicité.

"Enfin, je ne puis pas plus longtemps dissimuler ma faiblesse ni à moi-même ni à vous. Je succombe à la violence de ma passion, et j'avoue que je vous adore ! Voilà trois grands mois que j'étouffe mes désirs ; mais la résistance n'a fait que les accroître, et je cède à leur impétuosité."

La vie de don Raymond de las Cisternas prend rapidement le pas sur celle d'Ambrosio dans la première moitié du récit et nous transporte vers le surnaturel avec l'histoire de Beatrix la nonne sanglante. Avant cela, à l'auberge, le suspense se révèle captivant.

En définitive, les histoires d'amour, faites de séduction et de déceptions, sont prépondérantes, mais elles s'enchaînent élégamment et abordent divers registres. Lewis aurait pu nous raconter la même histoire sans basculer dans le fantastique et procurer le même effroi. (Attention spoil : le meurtre commis par Ambrosio et sa tentative de viol sur Antonia sont suffisamment terrifiants, sans que Lewis ait besoin d'ajouter l'occultisme via Mathilde et ses incantations. Tout comme le rapt échoué d'Agnès par Raymond, il n'avait pas besoin de cette histoire de nonne sanglante.)

"Tout à coup, elle poussa un cri long et perçant ; elle fut saisie d'un accès de délire ; elle s'arracha les cheveux, se frappa le sein, fit les gestes les plus frénétiques, et, tirant le poignard de sa ceinture, elle se le plongea dans le bras gauche : le sang jaillit en abondance..."

Il y a tout de même quelques incohérences, mais ce ne sont que des peccadilles. Par exemple, lors du combat à l'épée de don Raymond, il nous dit d'abord que "les coups des assassins... ne réussirent pas à m'atteindre" pour continuer une ligne plus tard par "j'avais reçu tant de blessures". Autre incompréhension, lorsque Antonia, qui se fait presque violer par le moine et qui se débat jusqu'à appeler à l'aide, se sent toujours en confiance auprès de lui et hésite à lui demander de l'aide après la mort d'Elvire ; c'est vraiment limite.

"... les murs furent bientôt  ébranlés par l'élément dévorant ; les colonnes cédèrent, le toit tomba sur les mutins et en écrasa plusieurs sous ses débris. On n'entendait que des cris et des gémissements. Le couvent était enveloppé de flammes, et le tout présentait une scène de dévastation et d'horreur."

La fin du roman, elle, est épique et l'on se délecte de l'incendie qui ravage le couvent de Sainte-Claire. Quant au prieur, notre héros éponyme, il perd la tête et s'adonne aux meurtres.

Définitivement, ce roman dit "gothique" est un choc. Un classique intemporel, d'une efficacité remarquable, d'autant qu'il date de la fin du 18è siècle.

À lire absolument.

R.P.



24/01/2024
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres