Contre-critique

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"Le Père Goriot" de H. de Balzac

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"Le Père Goriot" de Honoré de Balzac.

 

"...ces espérances étourdiment folles qui rendent la vie des jeunes gens si belles d'émotions : ils ne calculent alors ni les obstacles ni les dangers, ils voient en tout le succès, poétisent leur existence par le seul jeu de leur imagination, et se font malheureux ou tristes par le renversement de projets qui ne vivaient encore que dans leurs désirs effrénés"

Ne vous laissez pas rebuter par son démarrage vieillot, car si vous insistez, vous serez récompensé. Après une mise en place on ne peut plus classique, qui décrit la pension Vauquer - en commençant par ses alentours, son jardinet, puis son ameublement piteux - on y retrouve ses occupants. Le roman narre le destin croisé de trois personnages : le jeune Eugène de Rastignac, le vieillissant père Goriot et le malicieux quadragénaire Vautrin : "Le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié, parce qu'il a été proprement fait."

Balzac nous plonge dans les méandres de la société parisienne, à l'aide d'une écriture remarquable, et nous introduit par le biais de Rastignac aux moeurs mondaines du 19è siècle.

Dès le premier chapitre, alors que l'on comprend que la déception amoureuse de madame Vauquer auprès de Goriot distord sa perception de la réalité, et la pousse à la haine infondée, on réalise la charge cynique de Balzac pour le genre humain. Quant au moment où la vicomtesse de Bauséant explique à Rastignac comment se comporter dans le monde, c'est un passage majeur et édifiant, qui nous plonge intensément dans la comédie humaine. On découvre, du point de vue des personnages, que l'amour doit rester secret et que le jeu de l'argent va irrémédiablement avec celui de l'amour et du pouvoir. D'ailleurs la longue tirade de madame de Bauséant adressée à Rastignac illustre parfaitement cet état de fait.

"Le monde est infâme et méchant, dit enfin la vicomtesse. Aussitôt qu'un malheur nous arrive, il se rencontre toujours un ami prêt à venir nous le dire, et à nous fouiller le cœur avec un poignard en nous en faisant admirer le manche."

Aussi, pour séduire Anastasie de Restaud, l'ambitieux Rastignac va entreprendre de se rapprocher de sa soeur ennemie, Delphine de Nucingen. Toutes deux sont filles du père Goriot, ce dernier s'étant ruiné inutilement afin de les satisfaire, tant son amour pour elles le rend aveugle.

"Vous ne savez pas, enfants, ce que c'est que de sacrifier des souvenirs ! Mais que ne sacrifierait-on pas ?"

L'écriture de Balzac est remarquable, mais nous le savions déjà. L'ambition et la fougue de la jeunesse y sont admirablement dépeintes par le biais de Rastignac, le personnage central. Et le soutien aveugle de sa mère et de sa sœur Laure y est touchant.

"Pour le bonheur d'un autre, une jeune fille devient rusée autant qu'un voleur. Innocente pour elle et prévoyante pour moi, elle est comme l'ange du ciel qui pardonne les fautes de la terre sans les comprendre."

Roman dense et complexe, "Le père Goriot" demeure un grand classique de la littérature française. Il lève le voile sur les méandres de la pensée et des cœurs.

"Le cœur d'une pauvre fille malheureuse et misérable est l'éponge la plus avide à se remplir d'amour, une éponge sèche qui se dilate aussitôt qu'il y tombe une goutte de sentiment."

On ne se lasse pas de relire les formidables passages de ce roman époustouflant dans la forme et le fond, et l'on pourrait citer d'innombrables tirades remarquables. D'ailleurs une dernière pour la route, et après foncez lire ce livre !

"Savez-vous comment on fait son chemin ici ? par l'éclat du génie ou par l'adresse de la corruption. Il faut entrer dans cette masse d'hommes comme un boulet de canon, ou s'y glisser comme une peste. L'honnêteté ne sert à rien. L'on plie sous le pouvoir du génie, on le hait, on tâche de le calomnier, parce qu'il prend sans partager; mais on plie s'il persiste; en un mot, on l'adore à genoux quand on n'a pas pu l'enterrer sous la boue. La corruption est en force, le talent est rare. Ainsi, la corruption est l'arme de la médiocrité qui abonde, et vous en sentirez partout la pointe."

La dernière partie du roman s'avère la plus sublime tant la déraison humaine s'y déploie tragiquement. Les filles du père Goriot s'y révèlent d'une cruauté inouïe tant l'état de leur richesse et la splendeur de leur robe de soirée pour un vulgaire bal deviennent plus importants que la santé engagée de leur vieux père. Un premier pic est atteint lorsque Anastasie ne se donne même pas la peine de venir chercher les mille francs qu'elle a soutiré à son père pour sa robe du soir, alors que lui s'est sacrifié financièrement et physiquement pour les obtenir. Quant à Delphine, elle demeure sourde aux avertissements d'Eugène.

"Il pressentait qu'elle était capable de marcher sur le corps de son père pour aller au bal, et il n'avait ni la force de jouer le rôle d'un raisonneur, ni le courage de lui déplaire, ni la vertu de la quitter."

Chef-d'œuvre décrié en son temps pour la peinture peu glorieuse qu'il fait du genre humain, "Le père Goriot" est à ne pas rater (pour les lecteurs avertis) !

R.P.



22/05/2020
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