Contre-critique

"Les Trois Mousquetaires" d'Alexandre Dumas.

"Aussi Richelieu et Louis XIII se disputaient souvent, en faisant leur partie d'échecs, le soir, au sujet du mérite de leurs serviteurs. Chacun vantait la tenue et le courage des siens ; et tout en se prononçant tout haut contre les duels et contre les rixes, ils les excitaient tout bas à en venir aux mains, et en concevaient un véritable chagrin ou une joie immodérée de la défaite ou de la victoire des leurs."

Dès le premier chapitre, on risque fort de s'émerveiller pour cette histoire rocambolesque, d'autant que son entrée en matière est parfaite. On y découvre l'arrivée à dos de cheval dans le bourg de Meung, du célèbre Gascon de 18 ans, le bien nommé d'Artagnan, qui se voit comparé par l'auteur au non moins célèbre Don Quichotte. D'Artagnan, mousquetaire en devenir, s'avère aussi fier qu'effronté, tout en frisant le ridicule. Son récit se révèle truculent, riche en péripéties, et, pour qui n'a jamais lu Alexandre Dumas, il s'agit là d'une véritable révélation littéraire.

Publié en 1844, la première moitié de cette histoire est d'une modernité confondante, pleine de bons mots, de hardiesse et dotée d'un rythme endiablé. On est bien loin des écrits redondants, soporifiques et prétentieux de certains auteurs du même siècle. Durant les premiers chapitres, on ne s'ennuie pas une seule seconde et les longueurs n'existent pas. Précisons qu'il s'agit là d'un roman feuilleton postérieur aux oeuvres plus lourdes telles que celles de Balzac, cette autre auteur de talent, et dont on s'éloigne considérablement. En effet, ici, l'action et le divertissement sont exclusivement à l'honneur.

"D'Artagnan, selon les lois du duel de cette époque, pouvait secourir quelqu'un ; pendant qu'il cherchait du regard celui de ses compagnons qui avait besoin de son aide, il surprit un coup d'oeil d'Athos. Ce coup d'oeil était d'une éloquence sublime. Athos serait mort plutôt que d'appeler au secours ; mais pouvait regarder..."

Les joutes verbales sont exceptionnelles, tout comme celles d'épées, quant aux situations, elles sont aussi cocasses qu'efficaces. L'honneur y est sans cesse exposé et conservé, avec beauté, et le dévouement et la droiture sont les deux sentiments récurrents de l'oeuvre.

Pourtant, l'intrigue, bien que brillamment ciselée, finit par lasser, et les mousquetaires, admirablement dépeints, cèdent la place aux intrigues de cours qui enivrent moins. Heureusement, la liaison entre d'Artagnan et madame Bonacieux, dites Constance, permet de maintenir la flamme, autrement on pourrait s'ennuyer.

À noter que Milady est absente de ces pages, hormis une missive allusive, et que Constance est une femme mariée avec un mercier avare de cinquante ans, contrairement aux divers adaptations.

En définitive, nous avons affaire à un roman admirable et mémorable, mais qui, malheureusement, s'essouffle sur la longueur.

R.P.