Contre-critique

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"Lolita" de V. Nabokov

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"Lolita" de Vladimir Nabokov.

 

"Là, couchés sur le sable tendre à quelques pas de nos cerbères, nous restions tout le matin dans un paroxysme de désir pétrifié, guettant le moindre cahot dans l'espace ou le temps pour nous frôler brièvement : sa main, à demi enfouie dans le sable, se faufilait vers moi sur le bout de ses doigts bruns et fuselés, avec une lenteur tâtonnante et somnanbulique..."

Chef-d'œuvre reconnu, ce roman de Nabokov séduit dès les premières pages. L'histoire de ce Humbert qui reste perclus dans ses amours de jeunesses et dans l'admiration déraisonnable des nymphettes âgées de treize ans, comme cette Annabelle qui lui instilla le goût des pubescentes, va trouver son point d'orgue deux décennies plus tard, en 1947, lorsqu'il tombe sur Lolita, et retrouve ses sensations passées et cette attraction fatale qui ne le quittât jamais.

Malgré la polémique concernant la traduction, celle de E. H. Kahane datant de 1959 est renversante de beauté. Les phrases s'enchaînent miraculeusement et dévoilent une poésie et une subtilité confondante. A chacune des pages, et dès le départ du roman, on veut relever des passages entier tellement l'écriture nous émerveille.

"Le lendemain, une mégère asthmatique et puant l'ail, grossière, abominablement fardée, avec une moustache charbonneuse coiffant sa lèvre trop carminée et un accent marseillais qui frisait la parodie, me fit entrer dans ce qui était sans doute son propre domicile..."

La plume de Nabokov, on le répète, est délicieuse, et certaines descriptions de personnages sont excellentes. La première partie s'engloutit plus qu'elle ne se lit, et ses multiples rebondissements - dont l'épisode Valérie - sont admirables malgré leur tournure plus dramaturgique que réaliste - notamment la pirouette concernant le destin de Charlotte. On découvre la personnalité complexe de Humbert qui, après avoir lutté contre ses penchants, se laisse aller à un esprit manipulateur des plus marqués et fins qui soient.

"Mais la réalité ne tarda pas à s'affirmer. Les bouclettes blondes découvrirent leurs racines mélaniques; le duvet se mua en brosse sur ses mollets rasés; sa bouche palpitante et moite, si amoureusement que je la gavasse, trahit bientôt une ignominieuse ressemblance avec l'orifice homologue qui béait, crapaudesque, sur le portrait bien-aimé de sa défunte maman."

La deuxième partie, au départ légèrement trop descriptive et exhaustive concernant la virée de Humbert et Lolita, devient elle aussi enivrante, surtout lorsque l'esprit d'Humbert vire à la possessivité maladive. La manière dont il confond parfois les mots ou les êtres démontre admirablement l'obsession qui le ronge. Puis après la scolarité de Lolita, la fuite des amants traqués d'hôtel en hôtel par une voiture espion s'avère elle aussi palpitante, d'autant qu'elle lorgne du côté du polar. Le lecteur risque d'être touché par ce pauvre Humbert qui s'interroge sur la fidélité de sa Lolita, tout en ayant réalisé, depuis le chapitre XIV de la partie 2, que Humbert a détraqué sa pauvre enfant, selon l'analyse qu'en fait Miss Pratt à l'école.

"(...) et je la regardais, gambader, coiffée de caoutchouc, emperlée d'eau, lisse et dorée, aguichante comme une réclame, étroitement serrée dans le satin élastique de son maillot deux-pièces. Une déesse impubère ! Je m'émerveillais, avec un peu de fatuité, qu'elle fût mienne, mienne, mienne..."

Derrière la beauté de l'écriture et la chasteté des mots se cachent la roublardise, le chantage, l'abus. Car Humbert fait son possible pour se rapprocher des nymphettes quitte à manipuler son entourage et ses proies. Ainsi, bien que Lolita s'offre à lui sans contrainte, Humbert n'aura de cesse par la suite, pour la garder auprès de lui, de la menacer et de monnayer leurs étreintes charnelles, sans compter que leur liaison accumule pédophilie et inceste.

On ne dira rien de plus pour ne pas vous gâcher la fin si jamais vous ne la connaissez pas, mais elle est très réussie bien que légèrement théâtrale. Quant au "à propos de Lolita" par Nabokov lui-même en fin d'ouvrage, il est cinglant. On peut y lire critique virulente de plusieurs auteur dont Balzac !

Créateur de l'archétype Lolita, ce grand livre, un des meilleurs du XXè siècle, est une référence, un classique incontournable, aussi enchanteur que scandaleux !

Ne manquez pas non plus "Chambre Obscure" ou le puzzle cérébral et hautement divertissant intitulé "Le guetteur".

R.P.



30/12/2014
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