Contre-critique

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"Price" de S. Tesich

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"Price" de Steve Tesich.

 

"C'était bientôt la fin du lycée, et nous ne savions pas quoi faire de nos vies sinon nous cramponner les uns aux autres. Et si nous nous serrions les coudes, à vrai dire, c'était autant pour nous soutenir mutuellement que pour ne laisser à aucun d'entre nous une chance de prendre son envol."

Si vous avez déjà lu Steve Tesich, vous savez que cet auteur cultive la défaite avec un nihilisme confondant. Il l'a prouvé avec son chef-d'œuvre posthume "Karoo". Dans ce premier roman, Tesich parvient déjà à créer des personnages affublés de tares irréversibles. Ici, Daniel Price est un élève qui aurait pu devenir champion de lutte, mais qui va se laisser aspirer par l'antinomie de la réussite. Et tout commence avec son combat en finale inter-régionale qu'il perd bêtement. Par la suite, lorsque le professeur de littérature part en vrille, le pauvre Geddes, on perçoit le prélude au tourbillon de folie qui emporte les hommes sous la plume de Tesich. Mais c'est seulement lorsque le père de Price séjourne à l'hôpital qu'on comprend parfaitement la lutte acharné que ce fils va mener pour échapper à la dure fatalité de la vie, en se réfugiant auprès de Rachel, son premier amour rencontré le soir de sa défaite.

"Et, tandis que nous marchions, j'en arrivais à ne plus pouvoir me rappeler vraiment ce que je voulais faire de ma vie avant de la rencontrer. Tout était devenu vague. J'étais toujours le fils de quelqu'un, l'ami de quelqu'un, mais ça aussi, c'était diffus. Et, une fois de plus, tout ce qui ne l'étais pas, c'étaient Rachel et les sentiments qu'elle m'inspirait."

L'amitié entre les trois garçons lutteurs (à savoir Daniel Price, Freud et Larry) va être mise à mal durant l'été, tout comme l'amour filial et l'amour conjugal dans la maison de Price. D'un côté, Daniel a un père qui, par sa maladie, semble l'empêcher d'être heureux, de l'autre, une amoureuse qui ne veut pas vivre de petite idylle avec son gentil et naïf voisin.

"Price" nous fait revivre un peu de nos années de jeunesse, avec ses doutes et ses premières amours. Mais surtout on redécouvre la loi des vases communicants, car dans la vie rien ne peut être tout blanc ou tout noir. Daniel Price l'apprendra à ses dépends, en jonglant entre joie et tristesse.

D'ailleurs les rapports ambigus que Daniel entretient avec son père ou avec Rachel sont fascinants et particulièrement complexes. La personnalité de chacun pouvant être étudier à loisir, le roman devrait ravir les amateurs de vraie littérature.

L'ensemble du récit se révèle aussi surprenant que déconcertant mais toujours particulièrement soigné.

"Je reposai le combiné. Peut-être allait-il mourir bientôt. J'avais peur que sa maladie ne franchisse les murs de l'hôpital pour venir m'infecter, infecter Rachel, nous infecter tous les deux. On aurait dit qu'il savait que nous avions couché ensemble pour la première fois."

Au cours de l'été, les choses se compliquent réellement pour Daniel Price et ses deux amis, mais chacun va tenter d'avancer dans sa vie respective, et lui va tout faire pour ne pas finir comme son père dont il se détache de l'exemple.

Dans la dernière partie du roman, on craint réellement pour la santé mentale du héros qui pourrait perdre les pédales à tous moments.

Il faut absolument lire Steve Tesich qui, malheureusement, ne nous a laissé que deux romans, alors savourons-les !

R.P.



26/11/2019
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