Contre-critique

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"Saga" de T. Benacquista

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"Saga" de Tonino Benacquista.

 

"Dans ce métier, tout le monde se fait avoir au moins une fois. Prenez ça comme un baptême. Un baptême de luxe, soit. C'est un boulot où la naïveté confine à la bêtise, et on paye toujours pour sa bêtise. Quelle idée d'envoyer un scénario à un collègue quand on ne l'a même pas déposé à la Société des Auteurs..."

Après une succincte mais efficiente présentation des protagonistes, à savoir quatre scénaristes en situation délicate, "Saga" nous entraîne dans leur mésaventure, alors qu'ils sont engagés tous ensemble pour écrire, en urgence, un feuilleton de 80 épisodes. Il ne s'agit pour le directeur de la chaîne que de respecter son quota de créations françaises et la diffusion de la série est destinée à une audience proche de zéro. Pourtant la totale liberté d'action de nos quatre scénaristes va bientôt leur réserver une belle surprise.

L'auteur nous dresse le portrait d'une profession qui, comme beaucoup dans le milieu artistique, se prête à de nombreuses dérives. Comme exploiter la naïveté des débutants et l'incertitude pécuniaire qui touche la plupart. Mais Benacquista le fait toujours avec cynisme.

"On peut leur jouer ça façon Beckett, dit Louis. Deux pékins assis autour d'une caisse en bois, de la dérive verbale montée en boucle, et de temps en temps, l'un des deux se brosse les dents pour mettre un peu d'action."

On se régale des premières pages et les péripéties ne nous donnent aucun répit. On suit les événements qui s'enchainent sans temps mort grâce à de nombreuses et précieuses ellipses qui accélèrent le rythme sans laisser place à la routine. De plus on s'attache aux personnages et leur création, le feuilleton Saga, prend véritablement vie au fil des pages. On suit donc deux univers, celui, réel, des scénaristes, et l'autre, fictif, des personnages de Saga, sans aucune difficulté.

"...je suis ce qu'on appelle un has been. Postuler pour ce job, c'est ma manière à moi de faire la manche. Mon heure est passée depuis belle lurette, et aujourd'hui j'accepte n'importe quoi sans aucun ressentiment. Je suis comme un vieux cheval de labour qu'on garde en vie parce qu'il connaît bien la route et qu'il n'a plus gros appétit."

Au départ sombres inconnus, les scénaristes vont pouvoir s'imposer grâce au succès que va rencontrer leur Saga. Mais pour rester fier de leur création, ils vont devoir se battre.

Bien sûr, quelques passages sont un peu tirés par les cheveux, comme la confession de Sauvegrain dans le retournement de Jérôme, le retour soudain de Charlotte, ou encore la partie nommée Hubris, qui vire à l'invraisemblable, mais ce ne sont que de menus détailles qui n'entachent pas le plaisir de lecture dans sa globalité. On aurait simplement souhaité que Benacquista sache clôturer son roman avant la fin, alors que là, on a l'impression que l'histoire s'étire inutilement.

On était pas loin du chef-d'œuvre, dommage que la liberté du postulat de départ n'est pas aboutie à plus de folie et d'extravagance imaginative. Car on retombe dans les sentiers balisés du conventionnel.

R.P.



13/07/2017
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