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"Un Beau Ténébreux" de J. Gracq

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"Un Beau Ténébreux" de Julien Gracq.

 

"Plage noble, mélancolique et glorieuse, les vitres du front de mer toutes à la fois incendiées par le soleil couchant comme un paquebot qui s'illumine. Ce sable vide, encore chaud, tiède comme une plage de chair et qu'on voudrait fouler, couvrir, souiller naïvement comme elle."

Quelle maestria que l'écriture de Julien Gracq, un auteur qui, uniquement par son style, mérite le détour. Si vous désirez lire de la haute littérature, pas du tout ennuyeuse et extrêmement poétique, arrêtez tout et foncez lire "Un beau ténébreux".

Tout commence avec le journal de Gérard. Nous sommes en Bretagne, à Kérantec, et notre personnage erre le long de paysages sublimes. Il semble en vacances et fréquente Christel, fille populaire et déifiée par ses pairs. Très vite on pense qu'un trio va se former, car Gérard convoite Christel qui convoite Jacques, et tous trois résident à l'hôtel des Vagues. Mais l'attirance provoquée par Christel est bientôt remplacée par celle du ténébreux Allan.

"Peut-être ai-je tort de me le dire - dire ses pensées c'est toujours un peu prononcer un vœu - mais je suis destinée, je crois, à saccager ma vie. Je me soucie trop peu de ce qui ne compte pas. C'est comme si je rejetais le néant au néant avec une espèce de rage."

Personnage attractif, désinvolte et impalpable, Allan semble brûler la vie. Sans compter qu'il est obsédé par la mort. Bientôt, la fascination qu'il va exercer sur Gérard sera au centre du récit.

Publié en 1945, ce roman est emprunt de mélancolie. Les personnages comme les lieux dégagent un fort sentiment de futilité tortueuse et de perte. On se laisse cependant aisément bercer par ce flot déchirant et beau qui se propage tout au long des pages et des confessions des protagonistes.

"Parmi les nouveaux arrivants de cette année-là, était un petit garçon doux, très timide, très malhabile, un de ces garçons maladifs, sensitifs, à la figure délicate de fille, aussi "démunis que des aveugles dès que leur manque l'environnement maternel."

Arrivé à la journée du 23 août, on entrevoit ce qu'Allan est venu faire en vacances. Pourtant, à la manière du Raskolnikov de "Crime et Châtiment" - et comme il le dit lui-même d'ailleurs - Allan ne l'avouera jamais à Gérard. Le passage devient alors fascinant : "... cette lueur de cime sur l'abîme qui sépare pour l'homme une vérité certaine d'une vérité manifeste."

Julien Gracq est un auteur qui impressionne, même s'il ne s'adresse pas à tous, et son "Beau ténébreux" mérite amplement d'être découvert. Un roman sombre, subtile et envoûtant.

"Mais ce que je ne savais pas, c'est qu'il n'est pas bon de laisser la mort se promener trop longtemps à visage découvert sur la terre. Je ne savais pas... Elle émeut, elle éveille la mort encore endormie au fond des autres, comme un enfant dans le ventre d'une femme."

R.P.



08/07/2020
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