Contre-critique

Contre-critique

"Un enfant de Dieu" de C. McCarthy

 

"Un enfant de Dieu" de Cormac McCarthy.

 

"Un peu après, il se leva et prit le fusil à l'endroit où il l'avait posé près de la cheminée, le coucha sur le plancher le long du matelas puis s'étendit de nouveau. Il avait très soif. Pendant la nuit, il rêva de noirs ruisseaux d'eau glacée de la montagne, couché là sur le dos, la bouche ouverte comme un mort."

"Un enfant de Dieu" nous raconte le sursis d'un homme, Lester Ballard, un inadapté social qui n'aura de cesse de se confronter aux autres jusque dans la mort. Et ce, dès le début du roman, avec l'arrivée des forains sur ce qu'il considère comme son territoire, ce qui engendrera son hostilité. McCarthy nous détaille le conflit d'un homme avec ses semblables, dans un style dépouillé qui ne pénètre pas la pensée des personnages mais en décrit seulement les faits.

"T'as intérêt à te casser, espèce de salopard.

La voix vint s'échouer contre la montagne d'où elle fut renvoyée, égarée et dépouillée de menace. Puis il n'y eut plus rien que le silence et la splendeur profuse du chèvrefeuille dans l'air d'une nuit sombre de plein été."

Comme souvent chez l'auteur, les dialogues de ce court récit de 170 pages ne sont signalés ni par des guillemets ni par des tirets cadratins, ce qui, dans la forme, confère au texte une particularité surprenante qui ne différencie pas les actions des paroles.

Bien que la lecture du roman ne présente pas de difficulté, la trame reste obscure. McCarthy ne développe pas la psychologie de ses personnages, du coup on découvre les agissements du personnage principal mais pas ses motivations. Par exemple son attitude belliqueuse à l'égard de John Greer ne nous sera pas expliquée. Pourquoi lui en veut-il ? Cette question demeurera un mystère. Décoder Ballard ne sera pas chose aisée. Et pour la plupart des lecteurs, il sera incompréhensible, réduit à l'état de tueur sans motif qui arpente les lieux sauvages et sévit sur les automobilistes en stationnement, comme un animal sauvage. La nature est d'ailleurs constamment présente au fil du récit. Et Ballard se fond dans le décor, devient une bête effrayée à son tour.

"Derrière lui, hystériques, les chiens déboulèrent du flanc de la montagne, la neige explosant autour d'eux. En heurtant l'eau, ils fumèrent comme des pierres chauffées au sortir des fourrés sur la plaine, ils surgirent dans des nuages de pâle vapeur."

On ne présente plus McCarthy, auteur de plusieurs romans à succès récemment adaptés au cinéma, dont "La Route", couronné du prix Pulitzer en 2007.

Ecrit en 1973, "Un enfant de Dieu" fait partie de ses premiers romans, bien qu'il n'ait été traduit en France qu'en 1992, et il rappelle déjà ses œuvres à venir tel "No Country for Old Men". Car l'histoire de Ballard est celle d'un homme vieillissant qui n'a plus sa place parmi les Hommes, qui se sent menacé par ses congénères et qui devient de plus en plus dangereux à leur égard. Quant à sa crainte des vivants, elle est d'autant plus marqué que l'on découvre son attirance pour les cadavres qui frôle la nécrophilie.

"Le mort l'observait du plancher de la voiture. Ballard lui repoussa les jambes d'un coup de pied et ramassa sur le sol la culotte de la fille, la huma et la mit dans sa poche."

Ballard va s'exiler telle une bête en fuite et finira troglodyte. Réfugié dans les entrailles de la terre où il sera tantôt à l'abris, tantôt en danger. Car dans la troisième partie apparaitra la quète du shérif et son désir d'interpeller Ballard. Mais la plupart du temps Ballard est seul, subissant les aléas du climat, tout comme la nature autour de lui. Il sera chassé par le feu, glacé par la neige et trempé par les intempéries. Car il n'est rien d'autre qu'un élément de la nature.

"Il épousseta la neige du reste de ses provisions, se confectionna deux sandwiches à la mortadelle et s'accroupit dans un coin chaud parmi les braises pour les manger, marques de doigts noires sur le pain blanc, l'œil sombre, énorme et vide."

Se déroulant dans le comté de Sevier, dans le Tennessee, aux environs de 1960, nous n'avons que très peu d'éléments pour situer l'action, et ces derniers n'apparaissent que très tardivement dans le récit. Nous n'avons donc que très peu de repères sur une bonne partie du roman, ce qui rend "Un enfant de Dieu" presque intemporel et mystérieux. Un peu à la manière de "La route", où on ne connait ni la période, ni le lieu précis de l'action. On se rapproche ici aussi du road-movie, avec une errance et des meurtres dont l'aspect est très cinématographique.

McCarthy use habilement de l'ellipse narrative. Il parsème également son roman de messages destinés aux lecteurs, qu'il compare au héros.

"Une pause dans le cours normal des choses sembla se produire en ce lieu. Regardez-le. On aurait pu dire qu'il était porté par semblables, des gens comme vous. Qu'il en avait peuplé le rivage et qu'ils l'appelaient. Une race qui nourrit les estropiés et les fous, qui veut de leur sang mauvais dans son histoire et l'obtient."

McCarthy soumet un processus d'identification à son lecteur, malgré son écriture au style clinique. Il pose aussi question ; pourquoi son héros commet-il de telles atrocités ? Sont-ce les autres qui le poussent à agir de la sorte ? Qu'a-t-il de plus ou de moins qui le différencie des autres, de ses semblables ? Tant de questions en suspens. Il sera difficile de percer le mystère enfermé dans le crâne de Ballard, et c'est peut-être cela qui fait la force de ce roman. A découvrir !

R.P.



09/02/2012
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres