Contre-critique

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"Fille" de C. Laurens

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"Fille" de Camille Laurens.

 

"Chez toi,, en attendant, ta mère n'a pas de compte en banque, pas le droit de faire un chèque ni de travailler sans l'accord de ton père - d'ailleurs, elle ne travaille pas. Elle fait la cuisine (très bien - elle sort d'une école ménagère)..."

Le commencement est un peu lourd. Laurens fait beaucoup de redites, se répète quitte à marteler, et sa manière d'exposer les faits ne possède pas une once de subtilité. "C'est une fille" clame-t-on à tue-tête - oui, c'est bon on a compris. Finalement, le texte nous apparait assez bourrin et grossier. Tout le départ est beaucoup trop binaire et manichéen. Si cela avait été écrit par un homme, on l'aurait sûrement dénigré. Mais qu'on ne me taxe pas de machiste ou de je ne sais quoi, car je suis pour la parité et j'adore les romancières, Notamment Mazaurette dont j'avais beaucoup apprécié "Rien ne nous survivra" à l'époque, ou encore Niogret qui possède une plume incroyable, mais aussi Dieudonné ou la prolixe NDiaye, qui possède une écriture tout à fait personnelle et soignée (je m'arrête là mais la liste est longue). Dénoncer la condition de la femme est fait avec beaucoup plus de finesse dans "Trois femmes puissantes" par exemple.

Le problème c'est que Camille Laurens ne possède pas une plume suffisamment enivrante ou touchante, et, tant qu'à parler d'inceste, Angot le fait avec plus de froideur et de talent.

La première partie se révèle médiocre, malgré l'horreur des attouchements de Felix, parce que l'on passe du "tu" au "je" avant de partir dans le "il" (encore que, jusque-là c'est à peu près justifié) mais subitement, au milieu du chapitre 7, on revient au "je" et ça commence à faire beaucoup, d'autant que ça revient au "tu" dans la deuxième partie. L'ensemble manque de tenue et de style.

Ensuite, on le répète, c'est trop binaire, on se demande pourquoi la romancière s'obstine à opposer les hommes et les femmes perpétuellement. D'ailleurs, lorsqu'elle raconte son épisode au théâtre, dans lequel, petite, elle s'est emmêlée avec le déguisement papillon d'une autre fille, cela n'a plus rien à voir avec le fait d'être "fille", contrairement à ce que la romancière nous explique par le biais de son héroïne.

Heureusement, certaines scènes des parties suivantes, particulièrement marquantes, comme lors de l'accouchement par exemple, où l'attitude abjecte des parents, qui pensent d'abord au bien-être du médecin fautif avant celui de leur propre fille, se révèle aussi infâme qu'efficace en terme de narration. Cela rattrape un peu la première partie.

Autre défaut, tout est dramatique et appuyé. Seuls les mauvais moments sont racontés et cela rend l'ensemble pénible. La romancière nous dresse une liste de toutes les choses horribles que son personnage traverse, en mettant continuellement son sexe au premier plan de ses malheurs, or elle est simplement tombée sur des parents infâmes et sur un médecin particulièrement incompétent, mais ses blessures ne sont pas dues au seul fait de son sexe. C'est plutôt la nature humaine dans sa globalité qui devrait être pointée du doigt. D'ailleurs son mari doit souffrir tout autant qu'elle puisqu'il veut tuer le médecin responsable, mais son point de vue ne compte pas. Tout est auto-centré sur l'héroïne, dommage.

"C'est parce que tu avais peur pour moi. Parce que toute les femmes ont peur, c'est tout. C'est tellement ordinaire, elles ont tellement intériorisé le danger que certaines n'en ont même pas conscience, et pourtant. Une femme menacée, c'est un pléonasme."

La troisième partie est de loin la plus intéressante. Avec l'interaction avec le pédopsychiatre, le rapport se à l'autre se révèle moins binaire et bien plus riche. Cela nous ferait presque aimer le roman.

Alors qu'au départ, on se dit que si le lecteur veut détester les hommes, ce roman est fait pour lui car il va alimenter sa haine à leur égard, et que selon moi, cela ne reflète pas tout à fait la réalité et ne va pas aider à la réconciliation ou à la bonne entente égalitaire, à la fin, on se surprend à vraiment apprécier la dernière partie et l'opposition entre la volonté de la mère et celle de la fille plutôt garçonne. La fin sauve donc ce roman du naufrage et risque même de nous laisser une bonne impression globale.

R.P.



18/11/2023
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