"Mordre le bouclier" de J. Niogret
"Mordre le bouclier" de Justine Niogret.
Le héro est une femme devenue guerrière bestiale par la force des choses, et son nom lui est inconnu ; alors on l'appelle Chien. Elle a perdu ses phalanges dans ses premières aventures et on la retrouve au Castel de Broe, lieu qu'elle quitte en compagnie de Bréhyr, pour retrouver son nom. Tandis que les retrouvailles avec sa mère s'annoncent des plus hostiles, sa compagne elle, est en quète de vengeance. A mi-roman elles rencontreront d'autres personnages et se lieront dans des entretiens pleins de souffrance.
"Les ans lui enfonçaient profond leur givre dans le dos, leurs aiguilles de glace, si tant que même les étés ne savaient guère faire fondre ces froidures, et que Zoïre restait ainsi, bloqué, frigorifié, alors que le soleil brûlant se répandait sur la cour de son château..."
Ce roman fait directement suite à "Chien du heaume" et il débute dans le froid mordant caractéristique du précédent volume de l'auteur. Niogret ne s'est pas départie de son ton singulier et efficace qui lui valut, entre autres, le prix Imaginales. De la même manière que le précédent, "Mordre le bouclier" s'ouvre sur un affrontement, mais cette fois c'est la guerrière Bréhyr qui mène l'assaut.
"Zoïre ne savait pas cela avant de devenir vieux ; que la cervelle pourrit autant que la chair et qu'elle devient triste et à peine tiède, poisson pêché laissé sur la berge..."
La plume de Niogret n'a pas son pareil pour décrire les choses et les états d'âme de ses personnages. C'est l'atout majeur de ce roman médiéval à la noirceur jusqu'au boutiste. Les descriptions et explications des pensées sont la majeur partie du roman.
"Parfois, deux canaux caillouteux coulaient de chaque côté de ces herbes que le vent caressait autant que l'eau le fait des algues. Et ils coulaient, si fait, tout comme une rivière roulant sous les pieds des deux femmes..."
La description prend largement le pas sur l'action, mais ce n'est pas un défaut, car même si elle s'étale sur plusieurs pages, elle n'est pas rébarbative, bien au contraire, elle est habitée par la passion. Les métaphores sont succulentes et les phrases sont vivantes et poétiques, même dans la noirceur. On se délecte de la mélopée littéraire de Niogret. En contrepartie, l'action est peu présente.
"Tu avais cette même flamme dans le regard que lui, cette nuisance, et j'ai dû te frapper assez pour m'abîmer les mains. Oh, tu étais minuscule, insignifiante encore, mais tu avais cet air au fond de la cervelle, je le sais, je l'avais deviné depuis ta naissance."
Les rapports entre les personnages sont très éloignés des liens amicaux habituels. Chaque personnage habite une bestialité et un passé tragique. De même l'environnement où évolue les personnages est hostile.
"La fosse était tout emplie de boue et d'eau ; et dedans étaient des enfants. Ils n'étaient pas morts noyés, puisqu'on voyait des blessures de lames sur leurs corps, blanchies et nettoyées par l'eau. On aurait dit des bouches sans couleur, rendues dures par la froideur de la fosse."
Les rares combats du roman sont vraiment excellents. Ils sont rapides, brutaux et surprenants. On en souhaiterait davantage.
"- Perds tes doigts, morpion, perds ton nom et ta vie, et ensuite tu viendras tenter de me faire peur avec ton épée..."
L'univers de "Mordre le bouclier" est sombre. Les personnages sont torturés. La vie est baignée de souffrance. Les mots sont crachés et les rapports sont rudes.
Véritable roman d'écorché-vif, où le moyen-âge y est brutal et somptueusement noir dans le cœur de ses héros, "Mordre le bouclier" est à découvrir.
R.P.
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