Contre-critique

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"Le quatrième mur" de S. Chalandon

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"Le quatrième mur" de Sorj Chalandon.

 

"Je suis resté comme ça la nuit entière. J'ai refusé une chaise, un verre d'eau, un biscuit, toutes ces brutalités qui fredonnaient la vie. Au matin, il a fallu me pousser doucement pour refermer la boîte. Ce sont ses mains que j'ai vues en dernier, posées sur le satin, piquetées de mort noire."

Ce roman nous dévoile l'histoire de Georges, metteur en scène de théâtre et militant engagé aux côtés des travailleurs. Ce dernier luttait férocement contre l'extrême droite et l'injustice dans sa jeunesse. On découvre au fil des pages son parcours et ses rencontres dans une langue directe et sincère qui s'apparente au récit autobiographique. On découvrira la mort de son père, la naissance de sa fille Louise, son ami Sam Akounis plus mâture et plus sage, ainsi que le contexte social des années 70.

"Comme leur haine du présent, leur dégoût de l'égalité, leur aversion de la différence. Tout cela est de la sauvagerie pure. Mais leur façon de défendre leurs idées était égale à la nôtre. Lorsque je suis tombé, sur l'herbe du jardin, j'ai pensé à ça. J'avais perdu."

Beaucoup de moments sont remarquables, dès le départ accrocheur du roman et l'explosion dont est victime le héros à Tripoli - qui rappelle l'ouverture de "L’attentat" - suivi du chapitre 2, lors de l'apparition de Sam et l'excellente alternance entre récit de présentation par le comédien et pensée du héros. Ou encore en fin du chapitre 4, lorsque les personnages principaux s'octroient quelques répliques de Tchekhov face aux autorités policières.

L'écriture de Chalandon, simple mais acérée, réussit a toucher le lecteur, que ce soit dans la violence des affrontements au sein d'une jeunesse militante, ou dans l'émotion que procure une mort, une naissance ou une injustice. On imagine aisément que les personnages ont pu exister, et la force de l'auteur est de nous faire croire à son histoire et de nous émouvoir à l'aide de ses idéaux.

"Cette fois, il ne s'agissait pas de réciter trois répliques de théâtre dans une Maison des Jeunes, mais de s'élever contre une guerre générale. C'était sublime. C'était impensable, impossible, grotesque. Aller dans un pays de mort avec un nez de clown, rassembler dix peuples..."

Vous l'aurez compris en lisant la quatrième de couverture, Georges va tout faire pour respecter la volonté de son ami et parvenir à monter Antigone, la pièce d'Anouilh, au Liban, avec des comédiens aussi bien chiites que maronites. Ce qui vous vous en doutez, ne sera pas une mince affaire vu les circonstances complexes et la guerre qui déchire les populations du pays.

On déplore le manque de réalisme lors de la rencontre et des présentations des futurs comédiens de la pièce. Chalandon ne parvient plus durant quelques dizaines de pages à maintenir la crédibilité qui menait son livre jusque là. Du coup la tension dramatique retombe un peu. Heureusement, le récit gagne en intensité avec la guerre qui sévit au Liban et le retour de Georges auprès de sa famille tandis que le traumatisme des évènements le poursuit.

"Je suis entré derrière eux. J'ai fermé la porte. Le chrétien était à terre, son pistolet à l'autre bout du couloir. Les Druzes le frappaient à coups de pied. Ils brisaient son crâne, son nez, sa nuque. Je suis passé sur le côté. Je ne ressentais rien."

La fin du roman est superbe. "Le quatrième mur" prend une voie inattendue, loin de la bonne morale et du manichéisme simpliste. Chalandon y crée un parallèle surprenant entre son personnage central et la figure Antigone, et il y dessine non pas un drame mais une tragédie, sombre et inévitable.

Poignant et bluffant, "Le quatrième mur" oppose brutalement l'espérance à la réalité et livre une réponse implacable à la volonté d'une trêve au sein du conflit religieux du 20ème siècle.

R.P.



11/06/2014
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