"Meddik" de T. Di Rollo
"Meddik (ou le rire du sourd)" de Thierry Di Rollo.
"Je peux deviner les souffles du vent frais sur les rivages pollués. Plus haut, aux franges grises des nuages chargés de pluie, le DomAir flotte au creux des airs comme une bille blanche et bleue."
Prenant racine dans le futur du 23ème siècle, ce roman proche de l'anticipation décrit une Terre divisée entre les Fidèles qui vivent dans des buildings de centaines d'étages, avec richesse et culte religieux, et les pauvres, qui survivent en bas dans les rues et qui se font dévorer par les vautours. Le personnage principal, John, est un Fidèle, fils du richissime fondateur de l'empire Gormac. Seulement il déteste tous ceux qui l'entourent y compris son père, ainsi que l'idée de Dieu qu'on lui martèle à l'école. De plus, il se drogue pour échapper à ce monde qu'il exècre.
"Et l'inanité sublime de nos existences s'étend sous mes yeux, jusqu'à l'infini. L'océan noir, brassant ses vomissures qu'il rejette sans relâche sur les rivages - cette bouillie interminable et gargouillante, irrespirable. Les premiers immeubles à un millier de mètres à peine du bourbier."
La Terre croule sous l'accumulation des déchets et la guérilla fait rage dans les rues. Au quartier des Justes, tous ferment les yeux sur ce qu'il s'y passe. Seul John a osé regarder les atrocités d'en bas. Mais son amertume à l'égard de ses semblables et les effets des cigarettes parfumées qu'ils fument vont le conduire à tuer son professeur de théologie.
"J'en ai simplement marre de tout ce cirque. Ce DomAir ridicule flottant à plusieurs centaines de mètres au-dessus de l'océan, imposé par la Skies Above à cet emplacement et à nul autre, pour que cette saloperie de structure soit visible à des dizaines de kilomètres à la ronde. Ce Dieu grotesque qui justifie l'abandon des Terriens de Mars, les guérillas."
Mars a été colonisé, les clones existent, les disparités sociales sont immenses et la gouvernante couche avec John et son père. Telle est la situation de ce roman qui se divise en 4 parties et raconte la vie de John à quatre époque de sa vie. John va changer de bord, voyager, et s'enfoncer dans la démence de la drogue. Et son premier meurtre va débloquer son envie de morts qu'il n'aura de cesse d'assouvir avec froideur et efficacité. Car son idée de Dieu est envisagée d'une toute autre manière.
"- Et que faites-vous de Dieu dans ce schéma de pensée pour le moins sectaire ?
- Je ne l'englobe pas. Dieu n'existe pas. Sinon, personne ne l'aurait inventé."
Régulièrement relancé par l'action, ce roman distille de nombreuses séquences de meurtres et de violences physiques et verbales. Son univers est atroce et impitoyable. Di Rollo y aborde également le sexe, avec une distance détaillée.
"Je n'ai pas senti la moindre envie, ce soir entre nous trois. Seulement du désir instinctif. On était là pour baiser. Un partage d'humeurs et de muqueuses, et rien d'autre."
Le héros, comme souvent chez Di Rollo, n'a pas de mère et hait son père. Les dialogues sont crus et pourront choquer :
"- Mon père baise bien ?
- Et en quoi ça te regarde ?
- C'est mon père, lui dis-je d'un air doucereux. Il t'a déjà sodomisée ?"
"Meddik" c'est le nom de l'éléphant qui apparait à John lors de ses prises de drogue. Il sera de plus en plus présent au fur et à mesure du roman. Eternellement silencieux et lointain, il restera une énigme. Un écho aux peintures rupestres des jeunes Terriens de Mars.
"Je lui crève les yeux - Il me guide au long de mon existence. Je lui coupe la langue - Il parle à travers moi et en son nom. Je la tue enfin d'un tir de Royster sous le menton - sans Lui, je ne suis rien."
Mais la noirceur du roman n'est pas suffisamment justifiée - contrairement à son précédent "La profondeur des tombes" - et le lecteur risque fort de ne pas comprendre le comportement du héros. Et la perte de raison d'être du roman empêchera d'en apprécier la lecture.
Le rire du sourd est un passage clef car le garçon sera le seul individu épargné par la tuerie des scanners. Mais "Meddik" se perd en changeant trop fréquemment d'époque et de personnages secondaires. Di Rollo n'exploite pas suffisamment les situations qu'ils développe.
A la toute fin, l'énigme justifiant les attitudes de John nous est révélée. En fin de compte, trois terriens de Mars désireux de faire perdurer "un pan de ce passé" qui les reliait eux et les terriens de souche, entravaient la volonté de John et celle des terriens de Mars qui s'appliquaient à ne pas répéter les mêmes erreurs que celles commises sur Terre.
"Meddik" est donc un roman sombre, bien écrit et foisonnant d'idées, mais dont le fil conducteur est trop ténu pour satisfaire pleinement la lecture, et dont les protagonistes ont des motivations trop difficiles à suivre. Privilégier les autres œuvres de Di Rollo.
R.P.
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