Contre-critique

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"Vipère au poing" d'H. Bazin.

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"Vipère au poing" d'Hervé Bazin.

 

 "Nous écarter d'elle, à ce moment, nous eût semblé sacrilège. Mme Rezeau dut le comprendre et, pour couper court à toutes effusions, lança rapidement, à droite, puis à gauche, ses mains gantées. Nous nous retrouvâmes par terre, giflés avec une force et une précision qui démontrait beaucoup d'entraînement."

Le jeune Rezeau, Jean de son prénom, loge à La Belle Angerie de Craon, avec son frère aîné et leur grand-mère. Au départ, Jean étrangle une vipère et se balade avec dans le jardin. Seulement, on le voit, on accourt, on crie, et il finit fessé. Pourtant, cette entrée en matière stupéfiante est une période presque heureuse pour notre jeune protagoniste, car, par la suite, quand leur mère reviendra vivre avec eux, le véritable cauchemar commencera. Il faut dire que Paule Rezeau Pluvignec est une harpie, violente et infecte avec ses propres enfants. Elle maltraitera Jean et son frère et se comportera avec eux comme s'il s'agissait d'étrangers incommodants.

"Nous n'avions, en effet, jamais vu la mer, bien que La Baule ne se trouve qu'à cent kilomètres de La Belle Angerie. La famille estimait inutiles et même immorales les trempettes mondaines en eau salée, toute viande dehors. L'horreur du nu est tenace en Craonnais."

L'écriture de Bazin est corsée. Elle se révèle technique et alambiquée à la fois, mais le style, plutôt ardu au premier abord, demeure plaisant et original. Quant au sujet, il est bigrement accrocheur. La personnalité des protagonistes est surprenante et énigmatique, ce qui ne lasse pas d'envoûter le lecteur.

Bazin fait preuve d'ellipse dans son écriture, ou du moins, disons qu'il ne nomme pas forcément l'action générale. À titre d'exemple, au chapitre VIII, l'auteur ne dit pas que les personnages partent à la chasse. Il se contente d'un "braconnait pour le patron". Ou encore, lorsque le lièvre surgit, il va écrire "fut posément suivi par le fusil jusqu'à une distance convenable et, foudroyé, termina une quadruple culbute..." À aucun moment, l'auteur ne va employer les mots "tirer" ou "faire feu" pour expliquer la scène. Le lecteur ne peut que le déduire. D'un point de vue littéraire, cela se révèle extrêmement intéressant et plaisant, mais je ne suis pas sûr que des lecteurs non avertis ou débutants puissent pleinement apprécier la lecture, surtout en comparaison à nombre de ces auteurs contemporains si pauvres en vocabulaire et en tournure stylistique.

"Effectivement. Jouer avec le feu, manier délicatement la vipère, n'était-ce point depuis longtemps ma joie favorite ? Folcoche m'était devenue indispensable comme la rente du mutilé qui vit de sa blessure."

Passées les premiers chapitres, Brasse-Bouillon et Folcoche n'auront plus de secret pour vous. Vous découvrirez leur rapport plein de haine et d'amour dissimulés, ainsi qu'un humour grinçant, revanchard et efficace, qui fourmille d'idées. Par exemple, celle de nommer les abbés successifs par une lettre suivie d'un chiffre se révèle aussi drôle qu'ingénieuse. On jubile aussi face au duel de regard chronométré à table, et l'on frémit lorsque les coups pleuvent. Le rapport de force entre mère et enfants est poussé à son paroxysme et l'on peine à croire que l'oeuvre soit autobiographique.

"Je déteste, ou, plus exactement, on m'a appris à détester les grosses bises plébiennes et autres démonstrations de tendresse, mais, tant de formalités, c'est excessif. Toujours la hauteur qui se prend pour de la fierté. Race de girafes ! qui se montent le cou et qui, pommelées de préjugés, broutent solennellement quatre feuilles desséchées..."

Plus vous avancerez dans la lecture, plus vous l'apprécierez. Le climax étant la tentative d'empoisonnement et de noyade.

Un roman marquant et édifiant, à découvrir absolument !

R.P.



19/05/2025
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