Contre-critique

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"Adieu, mon livre !" de K. Ôe

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"Adieu, mon livre" de Kenzaburô Ôe.

 

"Cependant, ces retrouvailles - après quinze ans ? vingt ans ? Kogito tâtonnait avec ce sens du temps propre aux vieillards, d'autant moins fiable que le passé est proche -, ces retrouvailles ainsi commencées sur un ton détendu prirent rapidement un tour sérieux."

Depuis son prix Nobel de littérature, le romancier nippon ne voit pas son œuvre "later work" traduite en français. Ce roman-ci, le seul disponible sous nos latitudes, fait partie d'une trilogie mettant en scène un personnage nommé Kogito, double fictif de l'auteur. Et c'est là le propre de ce "later work", du style de Ôe, mêler la réalité et la fiction, comme nous le dira Shigeru, son interlocuteur dans le roman.

"Adieu, mon livre !" dévoile donc la personnalité de Kogito, un romancier vieillissant encore hospitalisé après un accident, mais qui ne tardera pas à rejoindre sa demeure, la Maison-Gérontion, nommée ainsi en hommage au poème de TS Eliot. Car Kogito se confond avec Ôe, et le lecteur découvrira ses interrogations et ses préoccupations. Nous verrons également l'inquiétude de sa femme Chikashi et de leur fille Maki eut égard à son état de santé. D'ailleurs son ami Shigeru viendra habiter Kita-Karu pour être proche de Kogito et pour pouvoir discuter avec lui. Les deux hommes vont alors se confier l'un à l'autre et élaborer divers scénarios.

"Une fois reconnu, un romancier peut continuer à se considérer comme tel... même si ses livres ne se vendent plus, même s'il est douteux que celui qu'il est en train d'écrire soit publié. Et ainsi, il peut, me semble-t-il, continuer à créer tout seul."

Les cents premières pages de cet "Adieu, mon livre !" sont un délice. Découvrir Kogito, qui semble revenu de la mort, s'adressant à ses connaissances décédées lors d'un état de semi éveil est passionnant. La complexité des relations entre les personnages laisse également prévoir le meilleur ; avec l'altercation qui eut lieu dans le passé entre Kogito et Shigeru, la relation ambiguë entre Shigeru et son étidiante qui s'ensuivit d'un licenciement et le rapport entretenu entre Kogito et son double aux étranges côtés.

Malheureusement, lorsque Kogî, Shige, Vladimir et Shinshin vont s'improviser équipe de tournage, on ressent une légère baisse de régime. Y est décrit cependant le processus menant à la création du livre que nous sommes en train de lire, ainsi qu'un plan visant la destruction d'une architecture.

"A vos débuts, votre style était limpide et on comprenait bien ce que vous écriviez, mais maintenant c'est surchargé. Et ça, contrairement aux critiques louangeuses qui l'attribuent à la richesse de vos qualités, je me demande si ce n'est pas plutôt un rideau de fumée de qualificatifs..."

Heureusement, passée les deux-cent premières pages, l'intérêt revient grâce à l'ensemble des préparatifs de la grande entreprise terroriste menée par Shigeru. Mais comme on le verra dans les deux chapitres nommés "Et soudain, la chute", faire exploser un gratte-ciel ne sera pas évident. Pourtant, ne vous méprenez pas, l'action n'est pas du tout au centre du roman. On découvrira plutôt les discussions pointues sur l'écrivain Mishima et sa tentative de putsch, ou sur Dostoïevski ou encore sur Céline. On apprendra également que l'influence première de Ôe fut Pierre Gascar.

Le fil conducteur du roman n'apparaît pas clairement au lecteur, et ce dernier devra s'accrocher pour poursuivre sa lecture sans sombrer dans l'ennui. Car la recherche de Kogito, avec la participation de Shige, son pseudo-couple à l'instar de Bardamu et Robinson dans "Voyage au bout de la nuit", est une démarche intellectuelle plutôt personnelle et peu divertissante.

Une lecture à réserver aux passionnés ! Les néophytes risquent de s'ennuyer ferme.

R.P.



12/07/2014
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