Contre-critique

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"Alors Belka, tu n'aboies plus ?" de H. Furukawa

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"Alors Belka, tu n'aboies plus ?" de Hideo Furukawa.

 

"Masaru bondit et mordit le premier soldat américain qui s'était approché sans méfiance, puis s'enfuit par le trou qu'avait ouvert une grenade. Plusieurs hommes se lancèrent à sa poursuite, décidés à "attraper le chien japonais", et sautèrent sur des mines."

Encore peu connu sous nos latitudes, l'auteur Hideo Furukawa est un écrivain contemporain né à Fukushima et connu au-delà de la littérature pour sa participation aux nombreuses manifestations concernant la catastrophe nucléaire du 11/03/11.

Auteur engagé et vigoureux, Furukawa livre avec "Alors Belka, tu n'aboies plus ?" une rétrospective des grandes lignes de notre vingtième siècle. En retraçant, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le parcours de la descendance de quatre chiens abandonnés par l'armée japonaise, le roman offre ainsi un récit dense et original, et exploite les mésaventures canines pour révéler la situation géo-politique de nombreuses nations.

"Soudain, le traîneau se renverse. Les chiens hurlent. Un horrible monstre apparaît. C'est un élan que l'épaisseur de la couche de neige a rendu affamé et qui attaque les chiens bille en tête, par le travers, alors que ceux-ci sont sanglés dans leurs harnais. Une femelle de plus de sept cent soixante-dix kilos."

N'allez surtout pas imaginer que ce roman utilise le chien comme s'il s'agissait d'un personnage semblable à un être humain, dont on va suivre les pérégrinations tout en pénétrant les pensées. Car bien que ce soit le cas ponctuellement, vous n'aurez que des bribes d'anthropomorphisme et les chiens ne vont pas dialoguer entre eux tels des hommes. Sachez également que nombre de personnages du récit sont humains et qu'un chapitre sur deux leur est destiné.

On verra davantage l'évolution des chiens d'après le questionnement et les descriptions que l'auteur leur consacre.

L'évolution au fil des générations canines sera variée. Au départ les chiens intègrent le centre cynophile de l'armée, et sont utilisés par l'Homme lors de conflits militaires, mais très vite chaque animal prendra une voie qui lui sera propre. On suivra par exemple Kita et sa capacité à tirer le traineau d'un musher en Alaska, ou encore Sumer qui va concourir pour les prix de beauté.

"L'idée selon laquelle l'intégrité de la race vaudrait mieux que le métissage, c'est une invention d'humains."

Au fil des pages on se rend compte que Furukawa dissémine ses idées et opère une métaphore entre le destin de ses chiens et celui de certains hommes, et c'est là la force de son roman qui n'est pas anodin du tout. Voyez plutôt ce passage : "Parce que nos dix-sept chiens ne s'imaginent pas à quel point ils sont le jouet des hommes. Dans cette péninsule de Corée qui sert de théâtre à la guerre par procuration que se livrent l'Est et l'Ouest, malgré l'imbrication des destins humains et animaux, les chiens ne se rendent compte de rien."

En parallèle de la descendance des chiens, l'histoire humaine offre un conflit triangulaire, entre russes, tchétchènes et japonais. De puissants mafieux s'affrontent, dans un déluge de violence et de coups bas. On verra ainsi "oyabun" contre "vor" sur fond de kidnapping.

À noter que le chapitre intitulé "Wouff" lors de l'attaque de la ville qui ne figure sur aucune carte par les yakuzas est excellent et hautement visuel. Dommage simplement qu'il soit si court.

On regrette également que les chapitres consacrés aux chiens - bien plus longs que ceux consacrés aux hommes - soient si méthodiques et descriptifs, à la manière d'un documentaire plus que d'un roman, ce qui entache un peu le plaisir de lecture.

"C'est ma fille pensa de nouveau l'homme. Cette gamine de merde, c'est la fille de mon ex-femme. L'homme ne pouvait détacher les yeux de l'écran, comme fasciné. Comme subjugué, il restait là, assis dans son fauteuil en cuir."

 En définitive, Furukawa a du mal à se positionner entre leçon d'histoire personnalisée et aventure romanesque canine. Dommage car l'idée de départ, vraiment originale, avec le chien comme arme emblématique du XXème siècle, aurait pu nous passionner.

R.P.



14/03/2014
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